Redonnons à la Loi sur l'accès à l'information des dents pour mordre les organismes qui ne sont pas transparents.

L'article 9 de la Loi sur l'accès à l'information octroie à toute personne un droit fondamental d'accès aux documents d'un organisme public. Je suis une personne et je suis aussi journaliste à la recherche à l'émission Enquête de Radio-Canada. Lorsque j'expédie une demande d'accès aux documents d'un organisme public, je n'ai à justifier ni de ma qualité ou de mon statut de journaliste, ni de mon intérêt, ni de l'usage que je ferai éventuellement des documents, si je les communiquerai ou non et à qui.

À cette étape de la demande, je suis donc une personne. À ma demande, un organisme peut accepter de communiquer les documents. Il peut aussi refuser partiellement ou totalement la divulgation en invoquant les exemptions prévues à la loi. J'ai alors un recours en révision devant un commissaire de la Commission d'accès à l'information.

Or, depuis 2009, un phénomène étrange se produit. Je perds à cette étape ma qualité de personne et je deviens soudainement une représentante de mon employeur. Selon cette logique, chaque fois que je voudrai contester la décision d'un organisme devant la commission, mon employeur devra retenir les services d'un avocat et en acquitter les honoraires professionnels. Cette contrainte économique peut être suffisante pour abandonner une demande de révision, privant ainsi le public de son droit à l'information.

Que s'est-il passé en 2009? Ce jour-là, devant la commissaire Christiane Constant, l'avocate d'Hydro-Québec plaide que W.L., un recherchiste à l'emploi d'un média, a fait sa demande d'accès au nom de l'entreprise pour laquelle il travaille et de ce fait, représente cette entreprise.

Elle invoque alors l'article 128 de la Loi sur le Barreau. Cet article décrit les actes qui sont du ressort exclusif de l'avocat, dont celui de plaider ou agir pour le compte d'autrui devant tout tribunal sauf ceux exclus de l'application de cet article. Ainsi en est-il de la CSST ou de la Régie du logement devant lesquels une personne peut se représenter seule. Or, la Commission d'accès à l'information n'apparaît pas sur cette liste.

L'avocate gagne sa cause, W.L. n'est pas avocat, il ne peut donc plaider sa cause et la commissaire ferme le dossier de W.L.

Hydro-Québec vient de remporter une manche importante : elle a gagné un temps précieux pour elle et pour tout organisme, plus ou moins de mauvaise foi, qui vont voir dans cette décision une occasion en or de faire fermer un à un les dossiers de révision présentés par des journalistes. Facile de refuser la communication de documents quand on prévoit fermer la porte à une révision! Mine de rien, l'article 9 de la  loi est détourné de son sens. Et le public privé de documents d'intérêt public.

Depuis, plusieurs journalistes et recherchistes ont goûté à la nouvelle médecine de la requête en recevabilité avant même que la question de fond - l'organisme était-il justifié de refuser l'accès aux documents demandés? - ne soit analysée.

En 2012, la Loi sur l'accès à l'information aura 30 ans. Adoptée dans la foulée du désir d'une plus grande transparence des organismes gouvernementaux, cette loi est un des piliers essentiels de la démocratie. Il est temps de mettre la loi à l'abri de ces argumentations qui vont à l'encontre de son esprit et de l'intention du législateur. Le Barreau du Québec doit se faire le protecteur de la transparence gouvernementale au-delà de ses intérêts corporatifs.

Lors du congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, nous devrons parler haut et fort pour dire aux organismes publics récalcitrants que le temps des arguties est terminé et qu'il faut redonner à la loi ses lettres de noblesse ainsi que des dents pour mordre les organismes qui tentent de se soustraire à leurs obligations de transparence.