Pierre-Hugues Boisvenu, un législateur ou un bonimenteur?

Victime du meurtre crapuleux de sa fille, le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu a longtemps été un porte-parole crédible des familles de personnes assassinées ou disparues. Habilement recruté par le Parti conservateur, il agit maintenant comme porte-voix du gouvernement fédéral en matière de justice pénale et de sécurité publique.

Doté d'une humeur ravageuse, son discours manichéen est formaté par une pensée claire et une action politique radicale: il soutient le camp des victimes contre celui des criminels.

Bienveillant envers l'idéologie conservatrice, son credo sonne faux. Prônant l'abolition de l'enregistrement des armes d'épaule, le sénateur justicier exclut de son camp les victimes des tueries de l'École Polytechnique et du collège Dawson.

Son analyse est stupéfiante. À cause de l'urbanisation et de l'augmentation des mères monoparentales, dit-il, «la chasse n'est plus une tradition transmise de père en fils». Par conséquent, la diminution des chasseurs «a un impact direct sur le nombre d'accidents de la route parce que les chevreuils et les cerfs vont frapper les voitures», d'affirmer doctement le sénateur Boisvenu.

Son argumentaire est déroutant. En premier lieu, le sénateur préconise un compromis politique: « Si le Québec veut un registre des armes à feu, qu'il s'en dote d'un, toutes les données sont là.» Plus tard, il tourne sa veste. Par loyauté électorale,  il cautionne le projet gouvernemental d'abolir l'enregistrement des armes d'épaule et de détruire les données: «Un engagement est fait pour être tenu.» L'affaire est classée.

Le sénateur Boisvenu souhaite reconfigurer le système de justice. Dans son viseur, les spécialistes et les gens de robe. Concernant les premiers, l'explication est simple: «Toute la formation des criminologues dans les universités canadiennes et québécoise a été contaminée par le fantasme de la réhabilitation. Punir est mal, comprendre est bien et réhabiliter est l'antithèse de l'incarcération.»

Sous prétexte de tolérance, la justice ferait preuve de laxisme, d'opiner le sénateur Boisvenu: «C'est ici que mon propre drame, l'assassinat de ma propre fille par un récidiviste, m'a conduit à dénoncer le laxisme qui se maquille trop souvent en tolérance.»

La magistrature n'échappe pas à sa vindicte. Récemment, la Cour d'appel ordonnait la tenue d'un nouveau procès dans un cas lourd d'agressions sexuelles. L'incompétence du procureur de la défense a rendu le procès inéquitable. Le sénateur Boisvenu a réagi: «Encore une fois, on priorise les droits des criminels par rapport à ceux des victimes. On juge que la procédure est plus importante que la vérité».

Sa méfiance envers les juges l'incite à rogner leur marge discrétionnaire dans l'imposition des peines. Quant aux avocats, leur posture en matière de justice l'indiffère: «Le Barreau rejette du revers de la main tout ce qui est contenu dans C-10.». Curieusement, le sénateur Boisvenu n'a pas lu le substantiel mémoire du Barreau déposé devant le comité parlementaire. Il s'est fié sur des propos rapportés dans les médias.

Pierre-Hugues Boisvenu affiche une dégaine de justicier. Ça pose problème. En effet, Robert Goguen, secrétaire parlementaire du ministre de la Justice, commente la foucade du sénateur envers le Barreau: «Il exprime son opinion personnelle. Ce n'est pas nécessairement celle du Sénat ou du Parlement. C'est sa façon de voir les affaires. Évidemment, lui a vécu un drame, c'est plus émotif, alors il suffit de dire que c'est son point de vue».

Le sénateur serait-il un législateur... ou un simple bonimenteur?

Il se targue publiquement d'avoir contribué à la rédaction du projet de loi C-10. Cette fonction relève des députés. Traditionnellement, le Sénat canadien remplit quatre fonctions: la protection de minorités, la représentation régionale des Canadiens, la mission d'enquête et, surtout la révision législative.

Dans l'hypothèse où le sénateur Boisvenu participe activement à la conception des lois, il usurpe une responsabilité des élus. S'il prétend faire de la révision législative, son devoir de réserve l'oblige à se tenir coi jusqu'à l'adoption du projet de loi C-10 par la Chambre des communes. Ensuite, en comité parlementaire du Sénat, il pourra légitimement intervenir et faire valoir son point de vue.

Son rôle de porte-étendard politique du gouvernement le place en conflit d'intérêts. L'arrogance d'un gouvernement majoritaire n'est pas sans limites...