Notre réserve a été mise en séquestre dernièrement, mais les conditions de vie n'ont rien à voir avec celles décrites dans le village cri d'Attawapiskat, dans le nord de l'Ontario. Une des rares communautés qui n'a pas de crise du logement. Changement de conseil de bande, mauvaise administration, les fournisseurs n'étaient plus payés, d'où le séquestre.

C'est une des communautés les plus éloignées au Québec. Pas de route pour venir ici, un billet d'avion Montréal aller-retour coûte plus de 3000$. L'employeur, c'est le conseil de bande, avec l'école et le centre de santé.

Ce qu'on a vu aux nouvelles en Ontario, ce sont des «shacks», et non pas les maisons que le gouvernement et le conseil de bande font construire depuis au moins 1970. Comment en sont-ils arrivés là? C'est sûr qu'il y a eu un mauvais leadership. Que l'argent qui devait aller à l'habitation n'est pas allé à l'habitation.

Parce que ça, c'est un gros problème: le fédéral donne des enveloppes budgétaires pour les différents secteurs, mais il a une peur bleue de deux choses: se faire accuser de négligence et se faire accuser d'ingérence.

Lorsqu'il y a un projet dans une communauté, c'est toujours surdimensionné. Il n'y a pas de fond, on veut le top. Ça a certainement contribué à la grande richesse de certaines personnes. Mais ça crée de drôles de situations où on se ramasse avec des trucs super hi-tech, mais qu'il n'y a aucune ressource sur place pour régler même les problèmes mineurs.

Et l'ingérence... Le conseil reçoit les enveloppes budgétaires mais peut décider de piger dans le budget de traitement d'eau et l'utiliser pour régler une dette. Ou bâtir une maison des aînés. Quelquefois, c'est correct. Dans le cas d'un mauvais leadership, ça peut servir par contre pour payer un vol nolisé pour aller à une rencontre sur l'accouplement des mouches tsé-tsé. Mais le fédéral ne veut surtout pas se faire dire qu'il fait de l'ingérence, donc il laisse faire.

Comment on peut régler ça? Le temps, de la compassion, de la compréhension. Après les Fêtes, mon grand-père sortait son traîneau, attelait son chien, mettait ses raquettes et partait à la chasse. Trois mois. Ses enfants? Dans les années 60, ils se sont fait ramasser pour être envoyés dans des pensionnats. Au niveau du mode de vie indien, ça a été une scission incroyable; ils n'ont pas pu vivre la même vie que leurs parents.

Une génération perdue. Ma mère en a fait partie. Elle m'a dit qu'elle en était venue à considérer ses parents «niaiseux»: vivre comme des sauvages, pas capables de parler français, jamais été à Montréal, même pas capables de conduire un char. Ça te déstructure une société quand des enfants pensent ça de leurs parents. Une fois qu'ils ont reçu une belle éducation, ils retournent dans leur réserve, où il n'y a rien. Drogue, alcool, viol, inceste, ben oui, les années 70-80 ça n'a pas été drôle.

Leurs enfants maintenant, c'est moi. Nous autres, on est l'après-culture. On ne connaît pas le bois, surtout moi, parce j'ai grandi en ville. On se dirige ailleurs, le niveau de scolarité augmente. Qui dit scolarité plus élevée dit moins d'enfants, moins de problèmes sociaux, un meilleur contrôle sur son environnement.

Quand je lis ou j'entends «qu'ils ont juste à déménager», c'est trop simple comme raisonnement. Comme ça, on a juste à s'assimiler? Comme ça, les Québécois ont juste à s'assimiler? Parce que c'est un peu le même raisonnement. D'ailleurs pour la majorité des autochtones, s'ils se retrouvaient en ville du jour au lendemain, ça aggraverait la situation. Comme la majorité des Québécois qui vivent en zone éloignée. Un autre déracinement.