65% de la pollution pourrait être réduite au Canada sans affecter sa productivité et sa compétitivité.

Ce qui est très étrange dans les débats sur le retrait du protocole de Kyoto et les contraintes sur les émissions de gaz à effet de serre (GES), c'est l'habituelle association entre ces contraintes et la compétitivité d'un pays. Comme s'il fallait polluer pour s'enrichir.

Si, évidemment, il est possible de concevoir et d'imposer des contraintes sur les émissions de GES qui sont mauvaises pour l'économie, comme le gouvernement du Québec s'apprête à le faire avec son système de plafonnement et d'échange, les plus grandes réductions de GES pourraient être obtenues en augmentant la productivité de l'économie. La raison en est fort simple: les plus grandes sources de GES sont des secteurs non productifs ou sous productifs.

Les émissions industrielles, au Canada, ne représentent en effet que moins de 35% des émissions totales. La plus grande source d'émission, le transport, pèse à lui seul pour 27%, suivi du secteur de la production d'électricité (14%), du chauffage des bâtiments (11%), de l'agriculture (8%) et des déchets (3%).

En transport, la part du lion des émissions est liée à l'usage d'automobiles et de camions légers «de promenade», qui minent la productivité de notre économie: congestion, dépenses en entretien perpétuel de routes et de ponts, accidents, autant de domaines où notre économie pourrait faire des gains si nous ne tenions pas à assurer nos déplacements dans des véhicules individuels de plus en plus lourds et chers à faire fonctionner.

En électricité, le morcellement du réseau par province fait en sorte que la plus grande partie de l'hydroélectricité (aux émissions de GES très faibles sur son cycle de vie) est réservée aux consommateurs locaux, qui y ont accès à bas prix. Cela oblige les provinces sans ou avec peu d'hydroélectricité (Alberta, Saskatchewan, Ontario, Maritimes), à brûler du charbon, du gaz naturel et du pétrole... pour un coût plus élevé que le prix de notre hydroélectricité.

Pourquoi ne pas réaliser des gains collectifs en vendant plus d'hydroélectricité, ce qui réduirait les émissions globales et enrichirait les provinces productrices comme le Québec?

Dans le secteur du bâtiment, les constructions anciennes et même actuelles sont conçues selon des normes d'efficacité énergétique notoirement désuètes. Au lieu de bien rénover ou de bien construire, nous nous infligeons des factures d'énergie annuelles trop élevées... et avec cela des émissions de GES proportionnelles.

Enfin, en agriculture, les subventions agricoles directes et indirectes allant aux grands producteurs encouragent l'utilisation d'engrais (azotés, qui se transforment en N2O, le troisième GES en importance après le CO2 et le méthane) et l'élevage bovin (source de méthane), ce qui fait que nous payons collectivement très cher, à travers ces subventions, pour émettre 8% des GES canadiens. Enfin, comme nous jetons dans nos poubelles de grandes quantités de matière organique, nos déchets produisent 3% de l'ensemble des émissions.

Aucun de ces secteurs ne représente l'économie réelle du pays, qui est une économie de services, de manufactures et de ressources naturelles. Couper dans chacun de ces secteurs demanderait certes des efforts, mais cela rapporterait des dividendes immédiats, en réduisant notre dépendance au pétrole, en valorisant l'énergie renouvelable qu'est l'hydroélectricité, et en coupant des subventions contre-productives.

L'économie du pays ne s'effondrerait pas, les industries ne fuiraient pas, au contraire: nous deviendrions immédiatement plus productifs et plus riches que les pays qui décideraient de conserver des pratiques coûteuses et polluantes. Le «coût» n'est que celui de changer collectivement nos habitudes individuelles. Ce coût du changement n'est pas compté dans la richesse du pays. Pourtant, c'est celui qui semble faire le plus peur à tous, puisqu'on en parle si peu.