Le Parti communiste va perdre le contrôle de l'économie.    

Le 23 juillet 2011, le train à grande vitesse de Pékin déraillait à la gare de Hanghzou, tuant 40 passagers. Le gouvernement tenta de dissimuler les faits, en vain. Dans l'heure qui suivit, la Chine entière savait ce qui s'était réellement produit grâce à Weibo, des microblogs gérés sur les téléphones portables qui échappent à toute censure.

Le Parti communiste, qui a perdu la bataille de l'information, est aussi en voie de perdre le contrôle de l'économie. L'économiste indépendant Mao Yushi, unanimement respecté, observe que la croissance est ralentie par la stagnation de la demande mondiale. Passant de 10% à 8% par an, l'industrie ne parvient plus à intégrer le flux des travailleurs ruraux qui quittent les campagnes. Pour restaurer la croissance, le régime a eu recours aux instruments keynésiens, la baisse des taux d'intérêt bancaire et une relance par les travaux publics. Mais les lois de l'économie s'appliquent même à la Chine: quelques autoroutes et aéroports inutiles n'ont pas débouché sur des emplois durables, ni sur des investissements productifs. Pire, la baisse des taux d'intérêt a aggravé la spéculation immobilière, parsemant le territoire d'immeubles et de bureaux vides. Les prix de l'immobilier baissent pour la troisième année consécutive, ce qui ruine les épargnants (l'immobilier est la tirelire des classes moyennes) et les provinces dont la vente de terrains est la principale ressource. Les banques locales qui ont financé ces aventures sont virtuellement en faillite. Le gouvernement a récemment annoncé que le système bancaire chinois pouvait survivre à une baisse de 40% de la valeur de l'immobilier: selon Mao Yushi, on s'en approche.

Si l'immobilier s'effondre et l'épargne disparaît, l'espoir que le marché intérieur prendra le relais s'évapore. Ce mythe du relais intérieur est d'ailleurs un fantasme: un revenu moyen par habitant de 4000$, centième rang mondial, et quelques milliardaires pékinois ne font pas un marché intérieur. L'ultime secours serait l'innovation. La Chine rejoindra-t-elle le camp des innovateurs, tels le Japon et la Corée du Sud? On en voit peu les signes avant-coureurs. La copie des techniques étrangères qui est la norme dans les secteurs de pointe remplace l'innovation nationale et condamne les entreprises chinoises à rester des éternels seconds. Liu Junnin, sociologue libéral, ajoute que les conditions intellectuelles de l'innovation ne sont pas réunies: les sciences sociales sont dans un état de grand délabrement, un climat défavorable à la compréhension du monde et à son amélioration. Quant aux écoles d'ingénieurs, dont le nombre fait l'envie du monde occidental, leur niveau, dit Liu, est juste suffisant pour être admis à poursuivre ses études supérieures en Amérique du Nord.

La Chine devrait-elle changer de modèle, faire place à la petite entreprise innovante comme au Japon, se défaire des grands conglomérats publics industriels qui restent nombreux, polluants et coûteux? Devrait-on s'intéresser enfin au développement de l'agriculture, à l'économie de la santé?

En réponse à des étudiants en administration publique à l'Université du Peuple, j'ai proposé que l'on mette à la retraite le célèbre chat de Deng Xioping. En 1979, Deng inaugurait une ère nouvelle, observant que peu importait la couleur du chat, pourvu qu'il attrape les souris. Ce chat a fait son oeuvre: il a sorti de la pauvreté plusieurs centaines de millions de Chinois, généré une caste de milliardaires rouges et une classe moyenne qui partage les valeurs occidentales. Ce chat a permis aux Occidentaux de réduire les prix à la consommation de nos vêtements, jouets, ordinateurs... tout en sacrifiant au passage quelques-uns de nos emplois. Mais le chat de Deng attrape de moins en moins de souris, il n'a pas l'esprit inventif, il abandonne à la misère la moitié de la population chinoise. Il a droit à la retraite: les étudiants m'ont demandé par quoi le remplacer. Par une économie libre sans doute, où la monnaie serait convertible, la propriété intellectuelle respectée, les crédits accordés sur des critères d'efficacité économique et non de clientélisme politique.