Ce serait honteux d'affaiblir Radio-Canada qui soutient la culture francophone partout au pays.

Rudy Desjardins est peu connu au Canada français comme au Canada anglais. Marie-Christine Gagnon et Susan Campbell ne le sont pas non plus. Mais en Alberta, au Manitoba et dans les petites collectivités du Québec, ils sont devenus essentiels à la vitalité des auditoires qu'ils desservent. Ils sont des voix quotidiennes et familières pour ceux qui habitent dans un milieu où leur langue est rarement parlée en public. Ce sont des héros locaux, acteurs essentiels des communautés francophones et anglophones du Canada.

On discute actuellement à Ottawa du rôle du radiodiffuseur public qu'est CBC/Radio Canada: de sa transparence, de sa responsabilisation et de ses coûts. Certains radiodiffuseurs privés - et certains parlementaires - accusent même la société d'État de concurrence déloyale.

Dans ce débat, on mentionne peu ou pas du tout le rôle vital que joue CBC/Radio Canada en soutenant la culture francophone en général, et les communautés de langue officielle - francophones et anglophones - en particulier. Cette société d'État représente aussi pour les immigrants un moyen précieux de comprendre leur nouveau pays.

Pour qui entend parler sa langue maternelle tous les jours et sur presque toutes les chaînes, il est difficile d'imaginer le sentiment d'isolement que l'on ressent quand personne ne parle votre langue en public. J'ai vécu sept ans à Québec, et même si j'ai trouvé l'expérience merveilleuse à bien des égards, la présence de la radio et de la télévision CBC a été pour moi une véritable bouée de sauvetage, un lien vital avec les petites communautés anglophones à travers le Québec. De même, en conduisant sur les routes de la Saskatchewan, j'ai été ravi d'entendre à la radio un débat en français sur Radio Canada.

À l'exception de Montréal et de quelques communautés de l'Ontario, les diffuseurs privés ne se soucient guère de desservir les communautés de langue officielle. Cela se comprend: ces communautés sont petites et dispersées sur un vaste territoire, et elles cadrent mal avec les modèles d'exploitation commerciale.

La diffusion restreinte des stations privées est apparue évidente lors des Jeux olympiques d'hiver de 2010 à Vancouver - nous avons tous constaté que sans la chaîne parlementaire CPAC, il aurait été impossible de diffuser les Jeux en français partout au pays. Heureusement, grâce au CRTC, à Rogers et à la CPAC - et au fait que le Parlement ne siégeait pas -, les Jeux ont pu être diffusés dans les deux langues d'un océan à l'autre.

De même, la télévision privée de langue française ne rapporte guère ce qui se passe ailleurs qu'au Québec, que ce soit au Canada ou dans le reste du monde. En fait, le réseau TVA demande actuellement au CRTC d'assouplir ses exigences de programmation canadienne. Une société d'État diminuée priverait les francophones d'une fenêtre indispensable, ouverte non seulement sur le pays, mais sur le monde.

À titre de commissaire aux langues officielles, je suis en désaccord permanent avec CBC/Radio Canada sur la nature de ses obligations envers les communautés de langue officielle. En dernier ressort, ce sont les tribunaux qui devront décider laquelle de nos positions est la bonne.

Mais qu'on ne s'y méprenne pas: CBC/Radio Canada est essentielle à la vitalité des communautés de langue officielle au Canada. Elle offre à ces communautés un service qu'aucun radiodiffuseur privé ne souhaite offrir ou n'est capable d'offrir à sa place.

Ce n'est pas un hasard si certains des théoriciens les plus connus en matière de communications internationales et de diversité culturelle - Harold Innes, Marshall McLuhan et Charles Taylor - sont des Canadiens. Les communications et les interactions culturelles font partie de la fibre même de notre pays.

Ce serait une honte épouvantable si, durant l'année même du 75e anniversaire du radiodiffuseur public du Canada, on affaiblissait ou compromettait son rôle de rassembleur des communautés linguistiques du pays.