On a souvent accusé la Cour suprême d'être une tour de Pise qui penchait toujours du même côté en matière de fédéralisme.

La décision rendue hier prouve de façon éclatante que ce n'est pas le cas et que la Cour peut arbitrer les litiges entre le gouvernement fédéral et les provinces en toute indépendance. Le gouvernement fédéral et les grandes institutions financières basées à Toronto avaient mis tout leur poids dans la balance pour mousser le projet d'une commission nationale des valeurs mobilières. De nombreux constitutionnalistes et avocats de renom du Canada anglais avaient exprimé l'avis que le Parlement fédéral pouvait légiférer sur les valeurs mobilières. Malgré cela, les cours d'appel de l'Alberta et du Québec, et hier la Cour suprême, ont rappelé le gouvernement fédéral et ses alliés à l'ordre : la mise en place d'une commission fédérale des valeurs mobilières constituerait un empiètement majeur sur les compétences des provinces.

En effet, la constitution de 1867 attribue aux provinces la compétence sur «la propriété et les droits civils», une expression très large qui comprend notamment le droit civil et la réglementation des activités économiques, à l'exception de certains sujets qui ont été spécifiquement attribués au Parlement fédéral, comme les banques, l'intérêt ou les droits d'auteur. Le gouvernement fédéral prétendait toutefois que la compétence du Parlement sur «la réglementation des échanges et du commerce» lui permettait de réglementer le domaine des valeurs mobilières. Cependant, les tribunaux se sont toujours montrés prudents dans l'interprétation de cette expression. Donner une portée large à cette compétence permettrait au Parlement fédéral de légiférer sur de vastes domaines qui relèvent de la compétence des provinces sur «la propriété et les droits civils», comme les assurances, la protection du consommateur, la réglementation des professions ou même des pans entiers du Code civil.

Dans sa décision d'hier, la Cour suprême s'inscrit dans le droit fil de cette jurisprudence en exigeant que le Parlement fédéral, avant d'exercer sa compétence sur «la réglementation des échanges et du commerce», apporte une démonstration convaincante de l'incapacité des provinces de réglementer efficacement le domaine particulier qui fait l'objet de l'intervention proposée. Sur le plan des principes, cette prise de position assure l'équilibre du fédéralisme et protège les provinces contre une volonté fédérale d'étendre sans cesse la portée de ses activités.

La question devenait donc: les provinces sont-elles incapables de réglementer le domaine des valeurs mobilières? Le gouvernement fédéral a bien tenté d'en faire la démonstration, mais faute de preuves concrètes, il a dû se contenter de faire miroiter les prétendus avantages d'une éventuelle commission nationale. Cependant, la Cour suprême a préféré se fonder sur les faits. Et les faits sont sans équivoque: les provinces ont réussi à mettre sur pied un système de réglementation des valeurs mobilières de classe mondiale, qui assure un haut degré de protection des investisseurs. Les arguments avancés par le gouvernement fédéral ont été taillés en pièces par une batterie d'experts retenus par les provinces. La conclusion suit logiquement: rien ne justifie de faire tomber la réglementation des valeurs mobilières sous la compétence fédérale.

La décision d'hier ne place pas le Canada dans une position vulnérable en cas de crise financière. Rappelons que le Canada est l'un des pays qui ont le mieux traversé la crise de 2007-2008. Lorsqu'ils s'expriment à l'étranger, les politiciens fédéraux ne manquent d'ailleurs pas de vanter la solidité du système canadien de réglementation du secteur financier. De plus, la Cour suprême a clairement indiqué que le gouvernement fédéral pouvait, en vertu de ses compétences existantes, intervenir de manière ciblée pour gérer et prévenir le risque systémique dans le système financier.