Les événements qui ont entraîné la mort de Fredy Villanueva et Farshad Mohammadi sont déplorables. On ne doit pas les accepter. Mais mettre fin au profilage racial soulève aussi d'autres questions. Trois d'entre elles me semblent particulièrement importantes d'un point de vue éthique.

Première question : où doit-on tracer la limite entre le profilage racial et le flair policier? Le travail de policier implique parfois de contraindre par la force, de venir en aide à des personnes en détresse, mais il implique aussi de prévenir le crime. On peut difficilement prévenir le crime sans faire des contrôles préventifs. Or, on peut difficilement faire des contrôles préventifs sans établir un certain profil des individus plus susceptibles de commettre des crimes. Pour établir ce profil, un policier s'en remettra à son expérience, à son instinct et à son jugement. Ces aptitudes sont difficilement mesurables ou quantifiables. Elles jouent néanmoins un rôle important. Comment éviter le profilage racial sans empêcher les policiers d'user de leur flair?

La deuxième question est plus subtile. Elle porte sur nos attentes contradictoires en ce qui concerne le travail des policiers. D'un côté, on veut une utilisation efficace des fonds publics. Un patrouilleur aimerait peut-être contrôler tous les individus suspects dans le métro, mais le temps et les effectifs limités le forcent à faire des choix. Pour faire ces choix, il doit aussi avoir recours à son flair policier. Cela le mène à sélectionner plus fréquemment certains types d'individus pouvant être associés à un style de vie criminel.

D'un autre côté, on veut mettre fin au profilage racial. Mais pour éviter ces pratiques dans le métro ou ailleurs tout en conservant des résultats similaires, il faut peut-être y mettre plus de temps et avoir recours à des effectifs supplémentaires. Bref, cela impose des coûts en terme de fonds publics. Sommes-nous prêts à les assumer?

Le profilage racial est problématique quand il mène à considérer plus fréquemment suspectes des personnes sur la base de leur race ou leur ethnie. Il s'ensuit des interventions plus fréquentes et peut-être des condamnations plus fréquentes. La mort de Farshad Mohammadi n'est pas nécessairement un cas de profilage racial si les policiers avaient des raisons objectives de l'interpeller. Si ces raisons n'étaient pas objectives, il peut aussi s'agir d'autres formes de profilage. Les policiers ont sûrement plus souvent tendance à interpeller les sans-abri, indépendamment de leur race ou de leur ethnie. Ce phénomène est aussi problématique. Si, finalement, ils ont fait un usage abusif de la force (leur arme à feu dans ce cas), c'est un autre problème.

Dans quelle mesure la ville et les policiers de Montréal, avec leur nouveau plan de lutte contre le profilage ethnique et social annoncé cette semaine, pourront-ils prévenir des morts comme celles de Fredy Villanueva et Farshad Mohammadi? Est-ce le principal enjeu derrière ces deux événements tragiques?

On ne peut pas appliquer les mêmes remèdes à des maux différents. Pour diminuer le profilage racial, il faut mieux former les policiers et corriger leurs perceptions parfois fautives de la fréquence de la criminalité dans certains groupes raciaux ou ethniques. Il faut les rendre plus sensibles à des facteurs autres que la couleur de la peau. Pour diminuer le profilage des sans-abri, il faut mettre l'accent sur les perceptions de la fréquence de la criminalité dans différents groupes sociaux.

Pour éviter les abus de force, il faut peut-être changer les techniques d'intervention des policiers. On peut leur interdire de porter une arme à feu par exemple. On le fait dans la London Metropolitan Police depuis longtemps. Londres n'est pourtant pas une ville sans enjeux criminels liés au multiculturalisme et à l'itinérance.

Surtout, il faut pouvoir sanctionner les policiers dont les pratiques sont problématiques.