Cette semaine a été marquée par une publicité conjointe de syndicats d'enseignants montréalais, qui s'unissent dans le but de protester contre le projet d'implanter unilatéralement le bilinguisme dans les classes de sixième année du primaire au Québec. Ce cri du coeur peut se définir ainsi: l'instauration du bilinguisme dans ces classes est une aberrance notoire.

L'idée qui émane des hautes sphères du ministère de l'Éducation semble, au premier abord, fort alléchante pour les parents: à même les budgets du système d'éducation publique, nous bilinguiserons vos enfants! En résumé, la méthode consiste à rapporter le contenu pédagogique, s'échelonnant actuellement sur une période de 10 mois, sur cinq mois. Offrir le même enseignement en moitié moins de temps!

Il va de soi que si votre enfant a des capacités scolaires exceptionnelles, il pourra très bien réussir cet exploit. Dans les faits, il s'avère que la méthode préconisée n'est ni facile et ni idéale.

Les tenants de cette méthode, qui conseillent actuellement le ministère, précisent à cet effet qu'afin d'évoluer dans la mouvance mondiale, les jeunes du Québec doivent apprendre à la fois l'anglais et le français. On va jusqu'à dire que l'apprentissage de l'une renforce celle de l'autre.

Au plan linguistique, le gouvernement semble oublier quelques petits détails. D'abord, les deux langues les plus parlées dans le monde actuel sont le mandarin et l'espagnol. Or, il n'y a aucun programme éducatif aussi poussé qui donne la possibilité aux enfants d'apprendre ces deux langues. On sait que l'espagnol, une langue qui ne cesse de prendre du galon, est plus facile à apprendre pour un locuteur francophone, du fait qu'elle découle également du latin. Cette lacune me semble plus importante encore que la déficience de l'anglais chez nos enfants, la langue de Shakespeare étant déjà massivement enseignée dans nos écoles.

Il existe, au sein de la communauté linguistique spécialisée en apprentissage des langues, un débat théorique sur la prétendue bienfaisance de l'apprentissage d'une tierce langue en même temps que le façonnement d'une langue seconde. C'est d'ailleurs sur la base de cette dernière théorie que se basent les classes d'accueil, fort présentes à Montréal, qui ont pour objectif de franciser les élèves allophones. Dans ces classes, les étudiants ne suivent aucun cours d'anglais afin de ne pas altérer l'apprentissage du français. Des recherches en didactique des langues démontrent que la confusion s'installe souvent lorsqu'on étudie deux langues secondes à la fois. Que feront donc les jeunes allophones qui ne maîtrisent pas encore parfaitement le français? Iront-ils aussi en classe bilingue? 

De plus, il faut noter que le ministère n'a pas pris le temps de s'interroger au sujet des élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage (EHDAA). Ces étudiants, qui sont déjà en grandes difficultés, peinent à réussir le programme d'une année dans le temps requis. Imaginons-les maintenant dans ce nouveau programme. Combien de ces élèves, déjà fragiles dans leurs apprentissages, réussiront-ils à surmonter cette épreuve? Et les étudiants qui ont une moyenne cumulée en deça de 70% et qui ne maîtrisent pas encore correctement leur langue maternelle, qu'en ferons-nous? Est-ce qu'ils franchiront les portes de l'école secondaire avec un déficit en matière d'apprentissage de la langue commune?

Je me demande aussi où le Ministère pourra trouver assez de professeurs d'anglais afin de pourvoir à tous les postes qui seront requis, plusieurs écoles du Québec ayant déjà de la difficulté à trouver un professeur d'anglais compétent et qualifié. Je n'imagine même pas ce que ce sera lorsque l'anglais intensif sera implanté. Il en va également de l'emploi d'une moitié des enseignants de 6e année, qui constituera, au terme de cette nouvelle méthode, une incertitude.

Avant de se lancer dans ce projet, le Ministère ne devrait-il pas se pencher plus sérieusement sur les conséquences graves que pourrait revêtir une telle entreprise?