On parle beaucoup du merveilleux monde des soins intensifs dans les médias. On présente des équipes de soignants orientés vers un but commun: sauver des vies. Mais est-ce vraiment la réalité sur le terrain?

Je travaille dans une unité de soins intensifs depuis 30 ans. Il y a deux réalités qui ont beaucoup changé au cours de ces années.

D'abord, la clientèle que l'on y soigne est beaucoup plus âgée et a la plupart du temps des antécédents médicaux multiples: diabète, insuffisance cardiaque, maladie pulmonaire chronique, insuffisance rénale... Par conséquent, quand ces malades sont admis aux soins intensifs, cela demeure pour eux une bataille très difficile à livrer. En termes plus imagés, c'est loin d'être une promenade de santé, c'est un marathon.

D'autre part, la médecine moderne a fait des pas de géant au cours des dernières années. Par exemple, on refroidit le corps humain quand une personne est victime d'un arrêt cardiaque dans le but de préserver les fonctions neurologiques. Et cela donne d'excellents résultats dans bien des cas.

Par contre, quand on est venu à bout de la phase critique de la maladie aux soins intensifs, c'est parfois là que ça se gâte. Le malade peut rester dans une période très longue de stabilité, mais il n'est pas tiré d'affaire pour autant.

Son séjour se prolonge et, souvent, d'autres complications apparaissent. C'est malheureusement le parcours typique d'une personne âgée dont plusieurs systèmes vitaux sont atteints.

Les places aux soins intensifs dans un centre hospitalier sont très précieuses. Malheureusement, elles ne sont pas assez nombreuses. La population vieillit et est de plus en plus malade. Et tout le monde connaît la pénurie de personnel qualifié pour soigner les malades de ces unités de soins haute technologie. En plus, on fait face à des contraintes budgétaires.

Par conséquent, on doit régulièrement annuler des chirurgies électives, faute de places aux soins intensifs. D'autre part, les aires de réanimation des salles d'urgence demeurent paralysées à cause de l'encombrement des soins intensifs. Ensuite, les patients qui reçoivent leur congé des soins intensifs doivent parfois prolonger leur séjour en raison du manque de places dans les autres services, aussi débordés.

Il est faut de prétendre que tout va bien dans le réseau de la santé québécois et que l'on peut soigner tout le monde. Il y a des délais et cela n'ira pas mieux à l'avenir. Nous sommes rendus à un tournant dans les soins de santé au Québec. On devra bientôt faire des choix douloureux.

Par exemple, on devra se demander s'il est acceptable d'installer un pacemaker à un centenaire. On devra se demander si l'on doit offrir la dialyse à un malade atteint d'un cancer ou un patient qui «saute» un traitement sur deux. On devra se demander enfin si l'on doit intuber une personne âgée déjà très malade pour l'aider à passer à travers une pneumonie.

On ne devient pas immortel parce que l'on est admis dans une unité de soins intensifs. Parfois, on réalise des miracles grâce à la médecine moderne. Mais, malheureusement, ce que l'on fait aux soins intensifs se transforme en certaines occasions en cauchemar pour le malade et ses proches.

Par mon témoignage, j'aimerais susciter une réflexion chez mes concitoyens, et particulièrement chez nos chers aînés. Que vont-ils répondre au médecin intensiviste quand il leur proposera d'être mis sur respirateur pour passer à travers une pneumonie? Soigner une pneumonie à 50 ans, c'est relativement réversible. Il en est tout autrement quand on a 85 ans. Et cela même quand on n'a jamais été malade. C'est vieux, 85 ans, pour passer à travers l'aventure des soins intensifs.