Griffintown possède une richesse historique insoupçonnée, et clairement sous-estimée.

Secteur ingrat que l'histoire n'a pas choyé, le quartier occupe pourtant une place fondatrice à Montréal. Jadis peuplé d'Irlandais qui y avaient élu domicile le temps de creuser le canal Lachine, Griffintown est, avec le quartier Sainte-Anne, le berceau industriel de la métropole.

Ce passé, il est vrai, n'est pas aussi clairement assumé que dans le Vieux-Montréal. On n'y retrouve ni l'envergure ni l'opulence du quartier voisin. Cela, en raison des affres récentes du «progrès»...

Quartier résidentiel populaire, Griffintown a été frappé une première fois par le changement de zonage brutal qui lui a été imposé par la Ville en 1963. Du jour au lendemain, il obtenait une vocation industrielle mur à mur. Puis le canal Lachine a fermé. Et l'autoroute Bonaventure a été construite en surplomb, portant ainsi le coup de grâce au secteur.

Si bien qu'une balade dans les rues étroites de Griffintown, aujourd'hui, révèle un quartier morcelé, désordonné et tristement hétéroclite dans lequel émergent quelques vestiges épars de l'ancien quartier populaire.

La trame orthogonale de rues, par exemple, qui a précédé celle de Manhattan (1804). La New City Gas, qui se classe parmi les plus grosses et anciennes usines à gaz de première génération au monde (1848). Le Horse Palace, toujours ouvert, qui représente l'une des dernières écuries urbaines en Amérique du Nord (1862). Et le vieux poste de police de la rue Young (1875).

Or que veut-on protéger de tout ça? Quelles sont les intentions précises de la Ville à cet effet? Mystère. Les projets ont beau se multiplier, la Ville s'en tient pour l'instant à un discours qui se veut rassurant.

Même chose pour le patrimoine immatériel dont regorge le quartier. C'est dans ce secteur qu'ont habité les Irlandais (dont le trèfle fait partie du drapeau de la ville) venus bâtir le canal et le pont Victoria. Là qu'a eu lieu la première grève au Canada (1843). Là que s'est écrasé un bombardier polonais pendant la Deuxième Guerre mondiale. Là que le célèbre fantôme d'une femme décapitée cherche sa tête aux sept ans...

Griffintown n'est donc pas qu'une collection de vieilles pierres, c'est aussi une âme, une histoire, une mémoire vieille de 200 ans.

Bref, un patrimoine vernaculaire essentiel à la compréhension du Montréal ouvrier qu'il serait tragique d'effacer.