L'École des Hautes études commerciales a presque toujours été vue avec circonspection et condamnée par une élite qui s'approprie les vertus du nationalisme et pour qui encore le commerce, le milieu économique et le regard sur le monde dépouillent le Canadien français ou le Québécois de son âme, de ses racines. Des mutants génétiques! Et, à l'égard des HEC, l'élite nationaliste s'élargit dans son mépris pour y inclure un bon nombre de fédéralistes.

L'École est née dans une telle controverse. Pierre Harvey, économiste, directeur de l'École de 1982 à 1986, un indépendantiste bien campé depuis la première heure, a écrit l'Histoire de l'École des Hautes études commerciales, un documentaire particulièrement fouillé. Il remarque: «Le plus surprenant, dans toutes ses luttes, viendra du fait qu'alors que l'établissement sera conçu et mis sur pied pour servir d'instrument de promotion économique au profit de la collectivité francophone, ce sera du côté de certains des plus fervents nationalistes que viendront, surtout au nom de la religion, les attaques les plus virulentes...»

Mon grand-père, Lucien Favreau, a été de la première promotion en 1913 et a fait carrière comme professeur de comptabilité à l'École des hautes études commerciales. Il est toujours resté amer d'avoir été traité, comme certains de ses collègues, de franc-maçon.

Jacques Parizeau m'a raconté avoir rompu avec une tradition qui nourrissait les HEC de rapports exclusifs avec la France en osant aller faire son doctorat au London School of Economics. Traître?

Pierre Harvey rompait avec l'institutionnalisme de la tradition française en économie en amenant dès les premiers cours en économie que devaient suivre tous les étudiants le courant anglo-saxon qui avait été depuis longtemps le plus pertinent en analyse économique. Trahison?

François Albert Angers, fondateur de l'Institut d'économie appliquée de l'École et directeur de la revue L'Action nationale pendant les années 60, et hyper nationaliste dirions-nous aujourd'hui, qui nous voyaient, jeunes turcs, faire nos études aux États-Unis et écrire certains de nos travaux de recherche en anglais, nous appuyait et le comprenait très bien. Traître?

Il est indéniable que le commerce de par sa nature même amène ceux qui le pratiquent ou l'observent à suivre les courants des biens et services, mais il impose aussi de tisser des liens avec les communautés pour mieux les connaître et de nous faire connaître par elles. C'est la genèse même de la logique de vouloir étendre son influence. Les HEC feraient une erreur de ne pas vouloir tisser ces liens en y faisant rayonner ses professeurs même si c'est en anglais, ce qu'elle fait déjà depuis un bon bout de temps, et d'attirer en son sein des étudiants de culture autre, mais dont le véhicule est l'anglais, au lieu de les laisser en exclusivité à nos amis anglophones qui n'en seraient que très heureux ou encore de les référer à la Toulouse School of Economics de l'Université de Toulouse.

Ces étudiants étrangers «pervertis» par la langue anglaise nous connaîtraient davantage et nos étudiants québécois qui, comme eux, peuvent parler anglais tout en gardant leur culture, verraient leur apprentissage s'enrichir de connaissances et de contacts inestimables.

C'est encore la répétition de l'histoire: on aurait préféré voir nos étudiants aller à McGill et Toronto plutôt que de fonder l'École des hautes études commerciales. La société québécoise est une petite société fracturée sur le plan économique; seule une grande société pourrait peut-être prétendre à une forme d'autarcie. Cette nature nous impose d'être ouverts sur le monde pour s'émanciper, progresser, voire même survivre. Comment peut-on faire cela autrement qu'en suivant ce que HEC fait et a toujours fait?

Ces montées de lait et ces réactions épidermiques niant presque la nature des choses irritaient Édouard Montpetit, qui a été professeur à l'École et doyen de la faculté des sciences sociales de l'Université de Montréal. Il déplorait ce qu'il appelait le «milieusisme».

L'importance de l'École et sa contribution à la société québécoise sont inestimables.

On s'explique encore très mal ce repli et ce nombrilisme des nationalistes et encore moins de ceux qui veulent faire du Québec un pays.