Je pense avoir toujours secrètement désiré être la maman d'une fille. Un peu pour ne pas rester coincée avec l'éventuelle étiquette de la belle-mère et beaucoup pour avoir la chance de recréer la relation extraordinaire que j'ai moi-même eue avec ma mère.

Bref, ton arrivée dans ma vie, Laurence, fut un grand bonheur. Et ce n'est pas que tes deux grands frères ne me rendent pas heureuse, bien au contraire. Avec leur minois taquin et leur sourire moqueur, tout imprégnés qu'ils sont de leur complexe d'OEdipe, ils me couvrent de «Tu es la plus belle, la plus gentille, je t'aime et je veux me marier avec toi».

J'étais déjà une maman comblée lorsque, dans la lumière du petit matin enneigé du 11 décembre 2010, ton papa, la gorge nouée par l'émotion et le sanglot dans la voix, m'a annoncé «C'est une fille!», en te déposant sur mon ventre; un grand rêve venait alors de prendre vie.

Je te rappelle au passage que tu nous fais passer un bien pénible hiver avec tes otites, tes pneumonies, ta varicelle et tes dents qui percent, mais il suffit de ton regard pétillant et de ton nez retroussé pour qu'on oublie tous nos soucis.

En ce 8 mars, Journée internationale de la femme, j'ai envie de te dire que tu es choyée d'être née femme dans un endroit où des pionnières ont mené des luttes acharnées pour nous permettre de jouir de droits et de libertés autrefois interdits. J'espère arriver à te raconter avec justesse l'histoire inspirante de ces femmes qui nous ont ouvert la voie.

La pire erreur que tu pourrais commettre serait toutefois de croire que ces droits et libertés te sont acquis; n'oublie jamais que ce qui nous a été accordé de la main droite peut à tout moment nous être retiré de la gauche. Ta responsabilité consistera à exercer ces droits et profiter de ces libertés avec jugement et discernement, en gardant bien vivant le souvenir des batailles passées.

Un autre de tes rôles sera de convaincre certaines amies et concitoyennes, pour qui notre pays est une terre d'accueil, qu'elles aussi ont le droit de se tenir debout, de se faire respecter et de refuser des traitements et des tortures qui leur seraient naturellement infligés dans leur pays natal. Je souhaite réussir à t'enseigner la générosité et l'ouverture sur le monde et sur les autres qui te permettront de partager et de transmettre les valeurs de notre société.

Certains te diront par ailleurs que rien ne t'est impossible et que tu tiens le monde entre tes mains. Ce n'est pas complètement faux, mais ce n'est pas tout à fait vrai non plus. Aucune aspiration ne sera trop ambitieuse et aucun rêve ne sera irréalisable à force de travail et d'ardeur, mais tu devras néanmoins faire des choix, ce qui exigera que tu écoutes non seulement ta tête et ta raison, mais aussi ton coeur et tes émotions.

Notre grand privilège repose dans ce précieux pouvoir que nous avons de choisir, mais l'ultime défi consiste à assumer nos choix et à faire la paix avec nous-mêmes.

Je veux aussi que tu saches que tu n'as pas à écraser les autres, particulièrement les hommes, pour réaliser tes rêves. Le féminisme, ce n'est pas une histoire de gros sabots, de froideur et d'agressivité. Tu n'as pas à renoncer à ce qui te caractérise comme femme pour réussir à faire ton chemin. À te voir revendiquer ta place au sein de notre petite tribu, je ne suis pas trop inquiète pour toi, mais rappelle-toi que féminité, sensibilité, humanité et subtilité pourraient être tes meilleures alliées.

En revanche, j'espère que nous t'aiderons à te bâtir une estime de toi et une dignité assez solides pour te convaincre que tu vaux plus qu'une fellation sur la scène d'un bar pour gagner une bouteille de vin mousseux et t'attirer le regard et l'affection des hommes.

Je profite donc de cette journée spéciale pour te souhaiter bonne route; qu'elle soit jalonnée de petits et grands bonheurs et d'expériences qui te permettront de grandir et feront de toi une femme épanouie.