Tandis que les pays du monde concentrent leur attention sur les ambitions nucléaires de Téhéran, un vif débat s'amorce concernant les avantages et les inconvénients d'une attaque préventive par l'armée israélienne.

Sans égard au fait qu'elle puisse être imminente, comme l'a mentionné le secrétaire américain à la Défense, l'idée d'une telle attaque me déplait particulièrement, et ce, non seulement parce qu'elle serait prématurée et inefficace et entraînerait inévitablement des représailles dans la région et dans d'autres pays, mais aussi parce qu'elle pourrait mener à des incarcérations en masse et à des massacres par vengeance visant les 300 000 Bahá'ís qui constituent la plus importante minorité religieuse d'Iran.

Depuis des décennies, les Bahá'ís d'Iran sont victimes de raids brutaux, d'arrestations arbitraires, de tortures et d'exécutions. On les empêche systématiquement d'accéder au marché du travail et de poursuivre des études supérieures, et le simple fait de s'afficher en tant Bahá'ís leur vaut de subir une dure répression de la part de l'État.

Le régime ne se contente pas de tolérer ce génocide idéologique, il le soutient, ce qui est totalement inadmissible.

Ce qui m'inquiète le plus est le fait que cette répression exercée par l'État est alimentée par une guerre de propagande vicieuse - elle‑même orchestrée par les médias contrôlés par l'État - qui vise à diaboliser et à dénigrer les Bahá'ís.

Au cours des 16 derniers mois, les médias iraniens ont produit plus de 400 articles, rapports et documentaires dans lesquels on accuse les Bahá'ís de tenter de renverser l'Islam, d'être des conspirateurs sionistes et d'effectuer de l'espionnage pour le compte d'Israël. Les articles s'accompagnent souvent de dessins de la grande faucheuse et d'autres images visant à susciter la peur et la méfiance.

Tel un souffle attisant les braises de l'intolérance chez les éléments les plus extrémistes de la société iranienne, cette propagande fait en sorte d'inciter à la haine.

J'ai déjà vu ce scénario dans le passé, et ça ne s'était pas bien terminé.

En 1991, Kangura - le tabloïd rwandais appartenant à des Hutus - avait publié l'image d'une machette à la une, accompagnée de la question suivante : « Quelles armes allons‑nous utiliser pour vaincre les cafards pour de bon? »

L'histoire nous a enseigné - et j'en ai été le témoin direct - que les campagnes de propagande visant à inciter à la haine jouent un rôle clé dans le massacre d'innocents.

Nous devons toujours nous rappeler de la propagande contre les Juifs dans l'Allemagne nazie, de celle contre les musulmans dans la Yougoslavie de Milosevic, ou de celle contre les Tutsis et les Hutus modérés au Rwanda. Dans tous les cas, on a ciblé des minorités ethniques ou religieuses, et on les a dépeints comme des rats, des serpents et des cafards afin de les déshumaniser.

Pour que les violences éclatent, il faut également un élément déclencheur, quelque chose qui catalyse la peur et la haine que distille la propagande dans la population.

Après des centaines de rapports des médias iraniens accusant les Bahá'ís d'être des conspirateurs sionistes souhaitant la destruction de l'Iran, que croyez‑vous qu'il arrivera à ces gens si Israël décide d'attaquer? Compte tenu de la longue campagne de haine dont ils sont la cible, les Bahá'ís d'Iran pourraient subir une vague d'attaques violentes.

Le premier ministre Harper et le chef libéral Leader Bob Rae ont eu raison de ne pas approuver l'action militaire, lors de leur réunion avec Benjamin Netanyahu, la semaine passée. Cela ne signifie pas pour autant qu'on doive fermer les yeux sur la menace nucléaire posée par l'Iran. En tant que l'une des principales puissances intermédiaires du monde, le Canada peut jouer un rôle important.

En premier lieu, nous devons mener avec dynamisme une stratégie globale en matière d'affaires étrangères à l'égard de l'Iran, en utilisant tous les outils économiques et politiques à notre disposition pour essayer de faire avancer les mesures diplomatiques.

En second lieu, nous devrons faire appel au nouveau Bureau de la liberté de religion quand il aura été établi, et nous assurer que la question des Bahá'ís se situe au premier rang de ses priorités.

En troisième lieu, nous devons tabler sur la nouvelle position du président de la Russie à l'égard de la Syrie et l'inviter - outre ce qui concerne la fin des massacres à Homs - à prendre la parole et à tenter de faire entendre raison à l'Iran.

Enfin, nous devons veiller à ne pas fermer notre frontière aux Bahá'ís - ainsi qu'aux défenseurs des droits de la personne et des dissidents iraniens - qui demandent le statut de réfugié au Canada. Depuis une cinquantaine d'années, le Canada est reconnu comme un pays qui accueille des personnes persécutées de partout dans le monde. Nous devons faire honneur à notre réputation en ce qui concerne les Bahá'ís d'Iran également.

Après le génocide au Rwanda, les responsables du message de haine véhiculé dans les médias ont été trouvés coupables par le Tribunal pénal international pour le Rwanda d'avoir, comme l'a formulé un témoin, « verser de l'essence sur l'étendue du territoire, goutte après goutte, de telle sorte qu'un jour, ils puissent allumer le feu et embraser tout le pays ».

Bien qu'il soit impossible de prévoir ce qui attend les Bahá'ís, nous savons qu'ils n'ont aucun droit en Iran. Nous savons que les médias les déshumanisent et qu'ils servent depuis toujours de boucs émissaires quand les choses se corsent. S'il fallait qu'une attaque israélienne déclenche des actes violents contre les Bahá'ís, nous ne pourrions plaider l'ignorance ni les abandonner à leur sort.