L'affaire Guy Turcotte revient cette semaine dans l'actualité avec le lot d'émotions qu'elle suscite. Pétitions, manifestations, pages Facebook, le verdict de non-responsabilité criminelle et les travaux de la Commission d'examen des troubles mentaux continuent de susciter de vives réactions dans la population. Et encore plus, dans les maisons d'aide et d'hébergement pour femmes victimes de violence conjugale.

Depuis la tombée du verdict, des femmes y arrivent plus craintives. Plusieurs ont confié que leur conjoint avait menacé de porter atteinte à leur vie et celle de leurs enfants, comme l'avait fait Guy Turcotte. Les femmes se sont retrouvées paralysées par la crainte que leur ex-conjoint voie dans ce verdict le feu vert social pour mettre ses menaces à exécution. Comment les rassurer?

Malgré les progrès des 30 dernières années, notre système de justice peine encore à tenir compte de la violence conjugale. Que ce soit de manière préventive, dans les décisions entourant les droits de garde et d'accès aux enfants ou dans le cadre des procès criminels, on minimise encore la gravité des gestes, leur impact et les risques qui y sont associés.

Si le conjoint a des antécédents judiciaires, c'est déjà un peu plus simple. Mais si la victime n'a jamais porté plainte pour des agressions passées, ou si le conjoint a réussi à installer son emprise, à créer un climat de peur, sans jamais lever la main sur sa conjointe ou sur ses enfants, le système de justice passe souvent à côté.

Pourtant, on sait que, parmi les conjoints accusés d'homicide, plusieurs n'avaient jamais eu recours à la violence physique, criminelle au sens de la loi. Et rares sont ceux qui souffraient de troubles mentaux. On sait aussi que la violence conjugale ne prend pas fin avec la rupture. Plusieurs conjoints profitent de leurs droits de garde ou d'accès pour continuer à menacer, à harceler leur ex-conjointe, certains utilisent les enfants, d'autres tournent leur violence vers ceux-ci. Certains vont même jusqu'au meurtre.

Le moment entourant la rupture est celui où les risques d'homicide conjugal et familial sont les plus grands. Dans un cas comme dans l'autre, la femme n'aura plus jamais la vie qu'elle avait avant.

Pourrait-on éviter cela? Certainement! D'abord, le ministère de la Justice doit former les intervenants judiciaires pour qu'ils puissent différencier un incident isolé de violence d'une situation de violence conjugale. Aussi appelée domination conjugale ou terrorisme intime, cette violence s'appuie sur une intention de contrôle. Que ce soit avant ou après le fait, les avocats pourraient mieux conseiller le tribunal sur les mesures les plus appropriées pour assurer la sécurité des victimes et favoriser la responsabilisation puis la réhabilitation de l'agresseur.

Ainsi conscientisé aux risques inhérents à la violence conjugale, le tribunal de la famille pourrait encadrer les droits de visite des pères qui ont fait usage de violence conjugale ou familiale. Mais pour permettre ce choix, il faudrait que les ministères concernés (Justice, Famille, et Santé et Services sociaux) rendent accessibles dans toutes les régions du Québec, des centres de supervision de droits d'accès, qui répondraient à des normes de sécurité et dont le personnel aurait la formation nécessaire. L'accès aux enfants ou l'échange de garde pourrait ainsi se faire sereinement. Les femmes dont la sécurité est menacée n'auraient plus à chercher des lieux publics, à requérir l'accompagnement de proches ou même de la police. Elles pourraient y conduire leurs enfants sans craindre de se faire suivre ou agresser, sans craindre que leurs enfants ne soient molestés.

Le gouvernement du Québec prépare un plan d'action en matière de violence conjugale, répondra-t-il présent? Nous aidera-t-il à rassurer les femmes qui craignent que leur conjoint prenne exemple sur le Dr Turcotte? Nous ne pouvons que l'espérer.