La montée en puissance de la Chine bouleverse sous nos yeux et de façon durable le système international. Il n'y a pas d'autre changement plus profond ni de plus essentiel.

Aujourd'hui, la Chine a dépassé le Japon et est devenue la seconde puissance économique après les États-Unis. Le taux de croissance moyen des 30 dernières années a été de 9,5%, celui des exportations de 18%, le revenu par habitant dépasse les 8000$US, sortant du même coup 500 millions de Chinois de l'extrême pauvreté.

La Chine inquiète. Elle a accumulé un trésor estimé à 3200 milliards US, avec lequel elle achète tout se dont elle a besoin: des terres, des mines, des entreprises de haute technologie, des parts de marchés et, on peut le penser, la complaisance des gouvernements (voir le texte de Richard Dupaul dans La Presse du 12 mars).

Les analystes affirment que la période de croissance «à marche forcée» tire à sa fin. Déjà en 2012, la baisse des revenus d'exportations limitera la hausse du PIB à 7,5%. Même avec un taux de croissance réduit, d'ici 20 ans, l'économie devrait dépasser celle des États-Unis et le revenu moyen doublera à 16 000$US, le niveau intermédiaire, celui atteint par le Chili aujourd'hui. Déjà, les autorités chinoises s'inquiètent de voir le pays stagner. Le temps des réformes est-il arrivé?

C'est ce qu'affirme une étude, China 2030, préparée conjointement par la Banque mondiale et le Centre de recherche sur le développement, une institution du gouvernement chinois qui opère à proximité du premier cercle du pouvoir. Le diagnostic est prévisible: il faut faire de la Chine un pays à économie de marché sensible aux besoins de sa population et respectueux de l'environnement et des règles internationales qui régissent le commerce et le système monétaire. C'est la voie du marché vers la prospérité.

À terme, la Chine doit rentrer dans le rang, devenir au plus vite un pays comme les autres, surendetté et à croissance anémique; un partenaire sans histoire, un client pour nos technologies et un fournisseur abordable. Les ficelles néolibérales du rapport sont trop apparentes pour inspirer confiance. L'essentiel est ailleurs.

La croissance des dernières décennies n'est pas seulement attribuable à une main-d'oeuvre abondante et bon marché, à l'importation de technologies et à une devise sous-évaluée, mais beaucoup à la capacité du gouvernement chinois d'énoncer des politiques et de les mettre en application sur une longue période. C'est l'avantage du dirigisme, qui associe propriété publique et direction autoritaire.

La formule est connue, elle a sorti le Japon, Singapour et la Corée de la misère. Le capitalisme d'État est aujourd'hui, avec quelques variations, le modèle dominant des pays émergents. Quelle catastrophe pour nos démocraties si la Chine s'y conformait; d'où l'appel orchestré aux réformes.

Même en acceptant la participation des groupes d'intérêts et en tolérant l'émergence d'une société civile, le gouvernement chinois possède une réserve d'autorité et les moyens de coercition pour imposer une politique industrielle et donc orienter durablement les investissements. C'est l'avantage chinois. Ce n'est pas un modèle, c'est la réalité de la concurrence à laquelle nous faisons face, avec son lot de favoritisme, de gaspillage, de corruption et de népotisme. Plus la Chine accroît la productivité de ses industries, plus elle nous force à devenir compétitifs.

Le contraste est frappant. Nos démocraties subissent le «piège de la gouvernance», celui des gouvernements paralysés par les groupes d'intérêts qui réclament le plus d'inaction possible. Un seul mot d'ordre: «Bloquons!»