Tout le monde a une opinion sur la grève mais personne ne traite d'une question de fond: que se passera-t-il si le gouvernement refuse de changer de position et que les étudiants ne retournent pas en classe ?  La réponse doit en inquiéter certains, car si la grève se poursuit et prend de l'ampleur, les étudiants sont assurés de gagner.

La grève engendre des problèmes organisationnels graves et coûteux dans chacune des institutions scolaires qu'elle touche, notamment au cégep lorsqu'elle excède cinq semaines.

Car passé ce délai, la reprise des cours dépasse la mi-juin, moment où les professeurs partent en vacances. Différentes options, toutes problématiques et coûteuses, s'offrent alors aux directions: demander à reprendre des cours le samedi, déplacer les vacances des professeurs, arrêter la session à la mi-juin et la poursuivre à la mi-août, payer les professeurs en temps supplémentaire, réduire le nombre de journées de cours, etc.

Dans tous les cas, cela nécessite des ententes difficiles avec les syndicats locaux, nuit à la qualité de la formation et demande de reporter le début de la prochaine session de quelques semaines, engendrant alors les mêmes problèmes pour la fin de la session d'automne.

Dans les universités, il suffit de penser au fait que la majorité des facultés touchées devront renégocier les contrats  des chargés de cours pour voir l'ampleur des problèmes que la grève leur pose.

Si on ajoute à cela tout le blocage administratif et les difficultés que poseront les horaires des employés de soutien, il saute aux yeux que le gouvernement devra un jour négocier.

Le manque de main-d'oeuvre

La grève fait par ailleurs retarder l'arrivée de plusieurs finissants sur le marché du travail.  On l'oublie souvent, la plupart des programmes techniques des cégeps offrent des taux de placement d'au moins 90%.  Les entreprises et services publics qui embauchent ces finissants ont un besoin quasi absolu de cette main-d'oeuvre. Personne ne le dit, mais ce sont les propriétaires et directeurs de ces entreprises et services qui doivent actuellement en appeler le plus au gouvernement pour savoir quand cette grève va finir.

Le même phénomène s'applique aux nombreux emplois d'été commençant fin mai, début juin, qui ne pourront être comblés parce que les étudiants seront en classe.

Il ne faut pas voir là le problème des étudiants, qui perdront en salaire, mais bien leur moyen de pression sur le gouvernement. Car ce dernier, en laissant la grève se prolonger, nuit au recrutement dans les entreprises et les municipalités, handicape la qualité de la formation, retarde l'arrivée de nombreux étudiants à l'université, crée de graves problèmes organisationnels dans les établissements scolaires et engendre des coûts sans cesse grandissants pour la reprise des cours.

Cela sans compter le prix que doivent payer les administrations municipales pour les services de la police lors des manifestations, occupations, blocages de ponts et autres « set-in », ni le fait que la grève est à se répandre dans certaines écoles secondaires.

Il viendra un temps où le prix que le gouvernement (c'est-à-dire nous, les contribuables) paiera pour ces problèmes sera plus élevé que les gains obtenus par la hausse.

L'impossibilité d'annuler la session

Mais si le gouvernement ne cède toujours pas et que la grève se poursuit, la possibilité d'annuler la session sera alors évoquée.  Or, cette possibilité est en vérité... impossible.  Il suffit de penser aux problèmes logistiques que poseraient l'offre des cours et l'arrivée des nouveaux étudiants alors que les anciens ne sont pas partis, aux poursuites que pourraient entamer des étudiants, au manque imposant et soudain de main-d'oeuvre dans les entreprises et services publics, pour comprendre que les conséquences d'une annulation de la session sont ingérables pour le gouvernement.

En fait, l'impossibilité d'annuler la session doit être comprise comme l'arme ultime des étudiants, celle faisant en sorte que le gouvernement, si la grève se poursuit, sera obligé de revoir la hausse à la baisse, voire l'annuler.

Il n'en est pas d'une grève étudiante comme d'une grève dans la fonction publique.  Le gouvernement ne peut pas imposer des amendes ou une loi spéciale aux associations grévistes.

À la question « Que peut faire le gouvernement pour que les étudiants retournent en classe? », la réponse est... rien, sauf négocier.  Il en est ainsi de tout temps, dans tous les pays : lorsque les étudiants font la grève, restent solidaires et sortent dans la rue, le gouvernement est impuissant face à leur contestation, à moins d'envoyer l'armée. Mais il n'y a pas de Place Tien An Men au Québec.

Le gouvernement a donc pieds et poings liés, il ne peut qu'espérer que le mouvement s'essouffle.  C'est le pari qu'il fait actuellement.

Il est donc convenu d'entendre les Charest, Bachand et Beauchamp affirmer : « la décision est prise », « nous ne reculerons pas ».  Le contraire aurait été étonnant.  Ils cherchent à décourager les grévistes mal informés de leur pouvoir de pression.  Mais encore trois ou quatre semaines de grève d'un nombre significatif d'étudiants, jumelées à une ou deux autres manifestations nationales, et le gouvernement devra lâcher du lousse.

La question en suspens est donc de savoir si le mouvement de grève pourra durer encore un mois.