Il y a un an, le NPD n'existait que virtuellement au Québec: moins de 2000 membres, aucune tradition et un seul député. L'élection du 2 mai lui a bien donné 58 députés, mais la plupart étaient des figures totalement inconnues du public. Bien plus, quand on compare sociologiquement le vote du NPD au Québec avec celui du reste du Canada, on constate qu'il n'avait pas ici développé ses racines au sein des clientèles habituelles de la social-démocratie.

Plusieurs ont cru que le NPD au Québec ne serait qu'un feu de paille et que ses appuis s'effondreraient aussi rapidement qu'ils ont surgi. Ils estimaient aussi que cette poussée n'avait rien à voir avec le programme du NPD, mais que tout tenait à la personnalité de Jack Layton. Le pronostic était sombre: la mort du chef allait refermer la parenthèse ouverte le 2 mai.

Les mois suivants ont corroboré en partie ces anticipations pessimistes. De mai 2011 à mars 2012, le NPD a perdu le tiers de ses appuis au Québec, et le Bloc est à nouveau en avance. Toutes ces données auraient pu mener les néo-démocrates du reste du Canada à se méfier de Thomas Mulcair. Ils pouvaient croire qu'il n'offrait qu'un plat de lentilles tellement la présence du NPD au Québec semblait artificielle.

De toute évidence, ce n'est pas le pari qu'ils ont fait. Les néo-démocrates, dont 90% des membres ne sont pas québécois, ont fait le pari du Québec. Ils ont choisi M. Mulcair en bonne partie parce qu'ils estiment qu'il est en mesure de consolider le vote québécois et de permettre ainsi une victoire décisive en 2015. En élisant le député d'Outremont, extérieur à l'establishment du parti et n'ayant aucun lien significatif avec le mouvement syndical, les membres du NPD sont sortis de leur zone de confort. Ils ont fait une ouverture stratégique. En fait, si le 2 mai 2011 le Québec a choisi le NPD, le 24 mars 2012, c'est le NPD qui a choisi le Québec.

Mais est-ce que M. Mulcair pourra vraiment enraciner le NPD en sol québécois? Il détient plusieurs atouts. Il dispose d'une forte notoriété et d'une bonne crédibilité. Il connaît aussi la culture politique québécoise et l'ensemble de ses cordes sensibles. Enfin, sa triple expérience parlementaire, ministérielle et médiatique est exceptionnelle.

Au plan organisationnel, il y a cependant beaucoup à faire. Les rares députés québécois un peu plus connus ont fait campagne contre lui. Pendant la course à la direction, le membership québécois du NPD a connu une bonne croissance, mais cela reste largement insuffisant. Pour s'enraciner, le NPD devra aussi développer des liens avec la société civile, le mouvement communautaire et certaines mouvances de l'intelligentsia québécoise. Pour que la greffe réussisse, le lien doit s'élargir et s'approfondir.

Le principal atout de M. Mulcair réside cependant dans l'antipathie des Québécois à l'endroit des politiques conservatrices. La volonté de remplacer Stephen Harper pourrait constituer le principal mobile pour intégrer le NPD et l'appuyer en 2015. Dans leur imaginaire, les Québécois se définiraient un peu moins comme des opposants, et davantage comme des gouvernants potentiels, capables à nouveau de participer avec le reste du Canada à la direction du pays.

Si ce scénario se réalise, l'élection de Thomas Mulcair à la tête du NPD pourrait s'avérer une étape décisive de la réinsertion du Québec au sein de la dynamique politique canadienne.

On aurait cependant tort de croire que ce plan ambitieux se réalisera automatiquement. D'abord, les libéraux de Bob Rae sont sortis de leur torpeur; ils ont tiré profit de leur cuisante défaite. Même chose pour les souverainistes: la terrible année 2011 semble derrière eux. Et les derniers mois nous ont appris que si l'axe gauche/droite, sur lequel se situe le NPD, est plus tendu que jamais, l'axe traditionnel de la politique québécoise - opposant les souverainistes et les fédéralistes - continue d'être actif. Ce double tiraillement n'est d'ailleurs pas étranger à l'incroyable volatilité qui caractérise l'électorat québécois depuis quelques années.

En choisissant M. Mulcair, les néo-démocrates ont indéniablement fait un pari audacieux. C'est cependant l'avenir qui leur dira si ce choix historique constitue la clé du pouvoir qu'ils n'ont jamais eu.