Depuis quatre ans, je vis avec un myélome multiple : une maladie auto-immune qui circule dans mon sang et ma moelle osseuse. Je me considère tout de même comme privilégié. Un bon employeur. De bonnes assurances. Une femme extraordinaire qui me sangle dans le fond de mon siège durant mes montagnes russes de douleurs et de traitements. Une vraiment très proche et très précieuse, très, très aidante. Je la chéris comme la perle qu’elle est ! Elle me rend un meilleur patient.

Et c’est par amour pour elle et ses semblables que je vous écris.

La COVID m’a privé, comme d’autres patients, de mes rencontres mensuelles avec mon médecin. Par conséquent, j’ai été privé d’une dizaine de séances de chimiothérapie hebdomadaires qui tiennent ce myélome en échec… sauf que sans elles, le méchant est sorti de sa torpeur pour envahir mes vertèbres et compresser mon autre moelle… ma moelle épinière. J’ai cessé progressivement de marcher normalement et je suis devenu progressivement incontinent… une lente déchéance qui s’annonçait sans que je puisse rien y faire.

C’était compter sans ma fidèle dulcinée, qui a documenté ma situation pour alarmer mon équipe médicale que quelque chose de grave se profilait : j’entre aux urgences et s’ensuit le déploiement d’une machine bien huilée et efficace. Batteries de tests, scan, IRM, radio-oncologie, etc.

J’étais en souffrances atroces et l’idée de me retrouver aux urgences sur un petit lit inconfortable, avec des couvertures trop courtes, sans oreiller, pour 24 à 48 heures ne m’enchantait guère plus que de faire du camping sauvage avec une crise d’arthrite.

PHOTO FOURNIE PAR L’AUTEUR

L’auteur et son ange gardien

Ma femme avait déjà tout prévu ! Elle m’avait préparé des vêtements faciles à changer, mon oreiller, une couverture à ma taille… Elle prenait soin de moi. Elle me massait toutes les heures avant que la douleur ne me dépossède de mon corps et ne me rende fou diabolique… Elle me faisait boire. Elle m’amenait aux toilettes. Toutes des tâches qui auraient été dévolues à du personnel surchargé, qui, par le miracle de sa présence angélique et bienveillante s’en trouvait allégé, voire soulagé.

Pourtant, durant cette période, les commentaires fusaient de la part d’une minorité pas suffisamment silencieuse à mon goût : « Oh ! il y en a du monde ici… Ouin, on est aux urgences pas à l’hôtel ! Vous savez, on peut vous demander de partir à tout moment, ou encore, madame, sortez avec moi j’aimerais vous parler… »

J’ai dû, moi malade, intervenir pour expliquer que cette personne au pied de mon lit ne sortirait parler à personne hors de ma présence et qui si quelqu’un souhaitait son départ, il devrait m’en parler d’abord. La cheffe des urgences n’est pas venue me voir finalement.

C’était le 24 janvier aux urgences de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont.

Le CIUSSS de l’Est-de-l’île-de-Montréal venait de publier cette directive à l’intention de sa clientèle et de son personnel.

Consultez la consigne « Visiter ou contacter un proche hospitalisé »

Dans les directives, on parle de bracelet bleu et autres bricoles… La vérité, c’est que ma femme a passé 36 heures aux urgences avec moi. Elle a dormi à même le plancher sans émouvoir personne. Qui peut donner un tel dévouement ?

Deux semaines après ce séjour, j’ai pu voir mon médecin. J’étais bourré de cortisone, de codéine et autres drogues jusqu’aux yeux pour encaisser le fait d’apprendre que mon cancer avait profité de ma privation de traitement pour me grignoter un peu plus de squelette, me faire une hernie aortique, et souder ma lombaire L2…

Mon ange était là avec moi pour accuser le coup. Poser des questions. Me prendre le bras afin que je ne tienne pas des propos qui dépeindraient ma douleur mais dépasseraient ma pensée. Elle était là ! Elle y est depuis quatre ans.

Pourtant, à toutes les étapes, les proches aidants se font mettre des « bras dans les roues ». Il y a tellement de personnel pour leur bloquer la route… On change de masque. On se lave les mains. On rechange de masque. On se relave les mains. On relit un questionnaire. Et, on remet systématiquement en question la place du proche aidant.

Deux semaines après la publication du guide sur les proches aidants, AUCUN des membres du personnel n’agit en conformité avec celui-ci.

J’ai 57 ans. Je suis un homme corpulent. Je peux être très persuasif… mais lorsqu’un petit monsieur de 80 ans vient s’enquérir de la santé de sa femme aux urgences depuis trois jours et qu’on le laisse « poireauter dehors », je trouve cela odieux. Notre société a perdu de son humanité avec la COVID-19.

Notre premier ministre souhaite que nous apprenions à vivre avec le virus, mais si c’est vivre ainsi, sans respect, dignité et collaboration, demandons l’aide médicale à mourir. On économisera !

Comment une administration de la santé d’une population peut-elle devenir si bureaucratique à en oublier la propre raison de son existence : le bien-être de sa population.

Prenons soin les uns des autres.

Demain, je retournerai à l’hôpital… Je recevrai un traitement de qualité. Mais il y aura toujours quelqu’un qui remettra en question la présence de mon ange gardien. Et je devrai probablement intervenir auprès d’un membre zélé du personnel qui voudra empêcher une personne d’en aider une autre. Est-ce le monde dans lequel nous souhaitons vivre ? Pas moi ! Et vous ?

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