Une demande d’accès à l’information faite par CBC News a révélé ce mois-ci que le gouvernement ontarien de Doug Ford commandait des sondages sur une base hebdomadaire pour connaître l’opinion de la population sur divers sujets de politique publique et que les résultats de ces sondages guidaient ses choix politiques. Cette pratique, qui coûte des millions de dollars aux contribuables, est devenue monnaie courante dans plusieurs États, comme au Québec et au fédéral.

Bien entendu, la gouverne par sondages comporte des avantages tant pour les gouvernés que pour les gouvernants.

Toutefois, les sondages ne devraient être qu’un outil parmi d’autres pour la prise de décision gouvernementale.

En effet, les citoyens méritent des politiques publiques qui sont fondées sur des données factuelles et non simplement sur un thermomètre de popularité.

Les sondages présentent un intérêt évident dans le cadre de la démocratie indirecte dans laquelle nous vivons. Dans notre système politique, il est difficile pour les élus et les fonctionnaires qui les appuient de prendre le pouls de la population sur certains enjeux entre deux élections. De fait, nous n’utilisons pas les plébiscites de façon régulière comme c’est le cas en Suisse, par exemple. En informant les politiciens sur l’opinion des citoyens, les sondages remplissent ainsi une fonction démocratique.

Dans un même ordre d’idées, les sondages permettent aux gouvernements de légitimer des décisions exécutives qui n’ont pas à faire l’objet d’un débat et d’un vote au sein de la législature. On peut penser ici à la majorité des mesures sanitaires qui ont été mises en place durant la pandémie en Ontario et ailleurs au pays, comme le port du masque obligatoire, les passeports vaccinaux et les limites de capacité dans les espaces publics.

En prenant des décisions qui s’accordent plus ou moins avec la faveur populaire, les autorités s’assurent que les citoyens s’y conformeront pour la plupart. Elles peuvent alors gouverner de façon efficace. La pandémie perdurant, il semble que le gouvernement de l’Ontario tente d’établir un équilibre délicat entre son désir de contenir la propagation du virus et son souci de ménager le ras-le-bol des gens vis-à-vis des mesures sanitaires. Dans un tel contexte, l’usage des sondages est certainement utile.

Le pouvoir de la majorité renforcé

D’un point de vue électoraliste, suivre les sondages permet à Doug Ford d’entretenir la faveur des électeurs. En mettant de l’avant des politiques qui ont l’appui de la population, ou du moins de sa base partisane et de nouveaux électeurs potentiels, le Parti progressiste conservateur augmente certes ses chances de réélection. Cependant, une telle manœuvre ne sert pas forcément le bien commun.

Bien que les sondages donnent souvent une idée de l’humeur citoyenne sur un sujet de politique publique particulier, ils ne permettent pas de trouver des pistes de solutions concrètes pour résoudre des problèmes. Les résultats de sondages peuvent être trompeurs lorsqu’ils sont mal interprétés ou que les questionnaires utilisés sont mal construits. En modifiant légèrement les questions d’un sondage ou les choix de réponses possibles, on peut obtenir de très différents résultats, sans compter que les perceptions des gens évoluent constamment.

Par ailleurs, gouverner par sondages renforce le pouvoir de la majorité au détriment de groupes minoritaires. Or, la démocratie est plus que la règle de la majorité !

En suivant aveuglément les sondages, les gouvernements peuvent nuire aux intérêts des personnes les plus vulnérables en société et, pire encore, enfreindre leurs droits et libertés.

Le récent relâchement des mesures sanitaires en Ontario a notamment soulevé l’ire des personnes immunosupprimées et des parents d’enfants en bas âge qui ne peuvent ni se masquer ni recevoir de vaccins contre la COVID-19.

Logique réactive

De plus, agir sur la base de sondages participe d’une logique réactive plutôt que préventive. Les politiciens attendent que la pression populaire monte avant de passer à l’action. Ce faisant, les problèmes grossissent et deviennent hors de contrôle. On peut penser ici à la cinquième vague de la COVID-19 qui aurait pu être atténuée de façon significative en Ontario si certaines mesures sanitaires, bien qu’impopulaires, avaient été renforcées plus tôt.

Puisque les données de sondages peuvent être insuffisantes pour faire des choix politiques judicieux, nos dirigeants doivent s’assurer d’avoir toutes les données nécessaires avant de prendre des décisions. En plus de prendre en compte les résultats de sondages, ils doivent appuyer leurs positions sur leur meilleur jugement, les principes fondamentaux de notre société, l’opinion des experts et le point de vue des parties prenantes.

Chaque décision politique est par définition controversée. Plutôt que de choisir automatiquement l’option politique qui reçoit le plus grand appui, les politiciens doivent assumer leurs responsabilités et justifier leurs choix politiques même s’ils sont moins populaires que d’autres.

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