Plusieurs amateurs de radio parlée sont en deuil en cette fin de saison. Des ténors ont annoncé – ou se sont fait annoncer – ces dernières semaines qu’ils prenaient leur retraite, souvent après de nombreuses décennies à l’antenne.

Radio privée ou radio publique, des micros seront orphelins à la rentrée. Ces annonces sont le lot des fins de saison, et on peut imaginer qu’en cette année post-pandémique, plusieurs animateurs de légende ont réfléchi au monde d’avant (le leur), et à ce qui se dessine dans le paysage, qui, dans les médias comme dans l’ensemble de la société, a considérablement changé et continue de se transformer. Sera-t-il assez confortable pour eux ?

Chose certaine, les nuits seront dépeuplées sans le roi bourru Jacques Fabi et ses « grands titres », les samedis bien différents sans le libre-penseur LeBigot et son fantasme d’une France qui n’existait pas, sans l’encyclopédique Paul Houde et ses marottes statistiques. Québec s’ennuiera de Claude Bernatchez le matin, et l’esprit baveux de Michel Lacombe me manquera. J’ajouterai que la voix de Serge Bouchard n’est pas remplacée… On a beaucoup dit qu’avec ces départs, c’est la fin d’une époque. En effet, ce sont exclusivement des hommes. Alors oui, en ce sens, les gros micros réservés aux messieurs datent d’une autre époque. Aussi parce qu’ils étaient des figures marquantes, ne serait-ce que par leur longévité en ondes. Ils ont accompagné des générations d’auditeurs. Ils auront même fait naître des vocations. Plusieurs les tutoyaient de leur cuisine ou de leur auto ; la radio est un médium de proximité. Mais doit-on tomber dans la nostalgie parce que nos habitudes seront bousculées à la rentrée ?

Le monde change, et la radio, dont on dit qu’elle est insubmersible, change elle aussi.

C’est certainement la fin d’une manière de faire de la radio, autour d’un animateur tout-puissant, seul maître à bord. Les équipes sont aujourd’hui beaucoup plus collégiales. C’est aussi la fin de la prédominance sur le discours public d’une génération, celle des 65 ans et plus. C’est vrai pour la radio, mais ailleurs aussi. On assiste au Québec à un changement de garde. En politique, il n’y a qu’à voir la réjouissante éclosion de jeunes mairesses et maires aux récentes élections municipales pour s’en convaincre. S’il fallait craindre quelque chose de ces départs radiophoniques massifs, c’est que le mélange en ondes de différentes générations ne se produise plus, lui pourtant si fécond. Il y a le risque qu’un groupe ne parle plus qu’à ses pareils.

On assiste aussi, en ce moment, à la fin d’une manière d’écouter la radio. Les auditeurs sont encore fidèles à leurs stations préférées, mais beaucoup se bricolent un menu à la carte. On reste fidèles à certains rendez-vous, mais en différé. Nos vies sont frénétiques, nous n’avons plus le temps d’écouter à heure déterminée, ou juste pas envie de nous infliger toute une émission pour un billet ou une chronique spécifiques. De plus, les balados, si elles ne sont pas encore un modèle d’affaires probant, répondent à un besoin croissant du public. Si mes goûts me portent vers un sujet très pointu, il existe certainement, à travers l’offre foisonnante, une série qui s’adresse à moi et 358 de mes semblables. Le contenu que je veux, quand je veux, sur mon support préféré.

De plus en plus d’auditeurs sont des auditeurs de balados, de rattrapages, de segments d’émission. C’est la radio en silo, satisfaisante, mais différente.

On ne cesse de dire que la radio est un médium increvable, mais il pourrait doucement être en train de se passer pour elle ce qui est arrivé avec la télé. Elle devient de plus en plus morcelée, à la carte. Moi qui en ai fait, en ai mangé, j’ai maintenant des habitudes plutôt nichées, je picore à différentes stations, j’utilise énormément le rattrapage et suis fidèle à plusieurs podcasts français. Oui, les incontournables sont toujours là ; Paul le matin, un peu d’Annie au retour à la maison, mais avec plus de parcimonie. Chez moi, fille de radio, la radio en continu n’est plus une trame de fond. Et je ne suis pas la seule.

Pour sa pérennité, la radio parlée ne doit pas s’appuyer sur sa nature supposément increvable et s’assoir sur sa seule bonne réputation. Les départs d’une demi-douzaine de légendes de l’animation n’en sont pas la cause, mais ils marquent d’une pierre l’écoute de la radio d’ici. Il faut maintenant la réfléchir en amont : à quoi servira-t-elle ? À qui ? Comment recréer des rendez-vous ? L’identité d’une station est-elle encore importante ? Faut-il absolument parler à tous ? La radio devra peut-être se « réinventer », pour parler caquiste....

Bonne retraite à ces messieurs respectables. Et longue vie à la radio. Avec un peu de vision, elle devrait bien se tirer d’affaire…

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