En invalidant le jugement Roe c. Wade qui avait confirmé le droit des femmes américaines de disposer de leur corps en 1973, la Cour suprême des États-Unis a asséné un électrochoc à tous ceux et celles d’entre nous qui souhaitent voir un jour un monde où l’égalité des hommes et des femmes n’est plus un rêve, mais une réalité.

Il faut se rendre à l’évidence : nous ne sommes pas à l’abri de reculs sur le plan des droits des femmes, et les gains réalisés ces dernières décennies sur les plans économiques et sociaux restent très insuffisants, et leur avenir n’est pas garanti.

Le jugement de la Cour suprême des États-Unis nous arrive après une semaine où nous avons pu assister au spectacle désolant de la comparution des dirigeants de Hockey Canada qui ont balayé sous le tapis le viol collectif d’une jeune femme.

Cette comparution elle-même s’est produite dans la semaine suivant le Grand Prix du Canada durant lequel on a dénombré plus de 30 000 annonces de services sexuels dans la région de Montréal. Ces deux exemples ne sont que la pointe émergée de l’iceberg. Dans la dernière édition des Signes vitaux du Grand Montréal, la Fondation du Grand Montréal s’est associée à l’Institut du Québec et à plusieurs organismes du terrain pour documenter la situation des femmes et des filles de notre région sur les enjeux de la santé mentale, de la violence et de l’intégration au marché du travail. Cette étude fait suite à la création du fonds collectif Femmes Action Montréal qui a vu une centaine de leaders, majoritairement féminines, se mobiliser dans une initiative philanthropique en faveur des femmes et des filles de notre région.

Le constat est clair : nous sommes encore loin de l’égalité.

À titre d’exemple, l’étude nous apprend qu’il y a 3,5 fois plus de femmes que d’hommes chefs de familles monoparentales, et que 41 % de ces femmes disent avoir une santé mentale mauvaise ou très mauvaise. On apprend également qu’une femme sur cinq a subi des comportements violents en milieu conjugal et que l’écart salarial entre les hommes et les femmes est encore de 9,2 %. Si en plus vous êtes une femme immigrante, autochtone ou racisée, souffrant de limitation fonctionnelle ou appartenant à la communauté LGBTQ2S+, ces données, comme bien d’autres, sont encore plus alarmantes.

Ce que l’étude ne nous dit pas, c’est que des femmes au Québec doivent renoncer à avoir un enfant, ou mettre leur carrière de côté, faute de place en garderie, que les mères de familles monoparentales qui devront se chercher un nouveau toit cette année subiront de plein fouet l’augmentation de 44 % du prix des loyers, ce qui risque de les pousser dans l’insécurité alimentaire. L’étude ne dit pas non plus que ce sont les femmes qui tiennent majoritairement, et à bout de bras, nos systèmes de santé et d’éducation, le secteur communautaire et celui de l’économie sociale, chroniquement sous-financés, dans des emplois surchargés, mal payés, et dans des conditions de travail souvent inacceptables.

L’étude ne dit pas non plus que nos filles se font harceler plusieurs fois par jour en marchant sur la rue, ou ce qu’elles ressentent lorsqu’elles regardent derrière leur épaule pour voir si elles sont suivies.

Elle n’explique pas comment elles se sentent lorsqu’elles subissent les attaques misogynes de suprémacistes mâles qui s’en prennent à leur apparence physique et à leur intelligence dès qu’elles prennent la parole pour défendre leurs droits, ceux de leurs enfants, ou l’avenir de la planète.

« Sexisme systémique »

En écrivant ceci, j’ai l’impression de revisiter des lieux communs, déjà ressassés 1000 fois, et c’est justement ce qui me trouble. Le « sexisme systémique » fait partie de notre normalité et ne suscite qu’un haussement d’épaules. Je suis un homme, et je n’ai jamais ressenti autant qu’aujourd’hui l’urgence de m’identifier comme féministe. Je constate que les valeurs fondamentales qui permettent de bâtir une société humaine juste pour tous sont des valeurs féministes, et que celles-ci sont constamment bafouées. Elles sont pourtant essentielles pour contrer le chacun pour soi, l’exclusion et la polarisation qui gangrènent notre société.

La décision de la Cour suprême des États-Unis ne concerne pas que l’avortement ou les droits des femmes, elle concerne également le type de société dans laquelle nous souhaitons voir nos filles et nos garçons grandir. Quand la situation des femmes s’améliore, c’est l’ensemble de la société qui progresse. Compléter la longue marche vers l’égalité des femmes, c’est investir dans la seule véritable prospérité : celle qui profite à tous. Une société féministe.

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