Depuis l’invasion russe en Ukraine, l’Allemagne se retrouve en situation de grande vulnérabilité sur le plan énergétique. Même si elle a pu depuis réduire sa dépendance face au gaz russe, de 55 % à 35 % de son approvisionnement, le reste du chemin sera difficile à parcourir pour arriver dans quelques années à une pleine indépendance face à Moscou.

Entre-temps, l’Allemagne restera un bout de temps dans une situation de faiblesse. Sa priorité à court terme est de passer le prochain hiver, en maximisant ses capacités de stockage.

L’Europe a fixé à ses membres un objectif de 80 % de remplissage de leurs réservoirs de gaz pour l’automne.

Les turbines réparées à Montréal pour envoi par Siemens auprès de son client russe aux fins d’alimentation en gaz via le gazoduc Nord Stream 1 vise cette fin, soit aider l’Allemagne à poursuivre le remplissage de ses réservoirs, et à réduire les chances que la Russie ne livre pas les quantités prévues aux contrats.

Outre cela, l’Allemagne aura grandement besoin de circonstances favorables, dont des températures clémentes, pour passer à travers cette crise de longue durée.

Le réputé Oxford Institute of Energy Studies (Londres) dit que le continent européen s’est retrouvé en début de la crise ukrainienne près d’un précipice. Il écrit qu’il est maintenant dans le précipice, et essaie de s’en retirer avec les doigts d’une seule main… 1

Un peu d’histoire

Les liens énergétiques de l’Allemagne avec la Russie remontent aux années 1970. Le maire de Berlin-Ouest, Willy Brandt, devenu plus tard chancelier de l’Allemagne de l’Ouest (1969-1974), est d’avis que le commerce avec les pays d’Europe de l’Est s’impose pour atténuer les divisions en cette période de guerre froide. Cette approche est nommée l’Ostpolitik.

Avec la crise pétrolière des années 1970 et les actions d’embargo des pays arabes, l’Allemagne perd confiance dans cette région pour son approvisionnement en énergie.

Puis sa politique de transition énergétique, nommée Energiewende, écarte le nucléaire, dont la production prendra fin cette année, et mise sur la fin du charbon. Il ne reste donc plus beaucoup d’options.

Poussé par une industrie avide de ce gaz russe peu cher et abondant, le pays signe des ententes d’approvisionnement avec la Russie et des gazoducs sont construits, dont Nord Stream 1 et Nord Stream 2, liant directement la Russie à l’Allemagne.

Tout cela sous les protestations vigoureuses des dirigeants américains qui se succèdent, décriant le chantage énergétique que pourrait exercer la Russie sur les Allemands. Sans compter les milliards engrangés par Moscou lui permettant de raffermir son armée.

La situation actuelle

Pour réduire à court terme sa vulnérabilité actuelle face à la Russie, l’Allemagne et l’Europe misent sur des approvisionnements supplémentaires via des gazoducs existants, de l’Afrique du Nord, de l’Azerbaïdjan, de la Norvège. Mais les marges de manœuvre ne sont pas très importantes. Le marché mondial du gaz est serré, au maximum de sa capacité, comme le témoignent les prix élevés depuis deux ans.

L’atténuation de la dépendance énergétique de l’Europe passe aussi, et beaucoup, par l’importation de gaz naturels liquéfiés (GNL), des États-Unis notamment, qui se sont accrus de plus de 50 % à comparer avec la période janvier-juin 2021, et de mesures costaudes et à déploiement rapide d’efficacité énergétique.

Ces actions devraient permettre une diminution de la moitié des importations de gaz de la Russie d’ici la fin de l’année.

C’est sur l’autre part de son approvisionnement que l’Allemagne est maintenant à risque d’une coupure subite d’approvisionnement russe, une possibilité très réelle.

Elle n’a pas de terminaux d’importations de GNL : elle peut utiliser des terminaux flottants, mais de moindre capacité que des terminaux sur terre. Or ces infrastructures mettent environ quatre ans à se mettre en place.

Cruellement ce qui aiderait l’Allemagne et l’Europe est une récession : cela ferait diminuer la demande mondiale en gaz, notamment de l’Asie, et les prix. Un hiver clément serait aussi un facteur important, car le gaz en Europe est notamment utilisé pour le chauffage des bâtiments.

Et il faudra espérer que la population en Europe s’approprie positivement ce défi d’une consommation bien plus sobre en énergie, notamment grâce à la baisse de la température des thermostats, en utilisant moins d’eau chaude, d’éclairage.

Pour le puissant secteur industriel allemand, l’hiver prochain pourrait être bien difficile. Des mesures de rationnement de gaz, forçant une baisse de la production, voire des mises à pied, sont possibles.

Chose certaine, l’Allemagne paie chèrement sa dépendance énergétique face à Moscou.

1. The Oxford Institute for Energy Studies, REPowerEU and the Short-Term Outlook for the European Gas Market, July 2022.

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