Cher(ère)s futur(e)s candidat(e)s,

Les élections provinciales approchent et je m’inquiète. Sans attendre vos programmes, je ne pense pas prendre grand risque à prédire que vous les articulerez autour de la croissance, que vous promettrez verte, solidaire, ou que vous ne vous donniez même pas cette peine. Pourtant, après une gestion pandémique nous ayant réduits au statut de travailleurs, bientôt six mois d’une guerre brutale chamboulant nos dernières certitudes, et près d’un demi-siècle de « développement durable » n’ayant pas tenu ses promesses, on peut se demander en quoi ce discours continue à être porteur d’espoir. Plutôt que de s’empresser à remettre nos vieilles bottines, peut-être vaudrait-il mieux s’arrêter un moment et se demander si un « retour à la normale », en le supposant possible, est en fait souhaitable.

Déjà, un nombre grandissant d’études contestent la possibilité de limiter le réchauffement climatique tout en poursuivant la croissance de nos économies. Sans mesures de contrôle, les gains d’efficacité promis par l’innovation technologique participeraient en fait au problème en augmentant la production et la consommation. Puisque la demande énergétique croît plus rapidement que notre capacité à substituer les énergies fossiles par du renouvelable, nous continuons à rejeter de plus en plus de gaz à effet de serre1.

Notre usage croissant de ressources naturelles implique également de lourdes conséquences en termes de biodiversité, de dégradation des sols et de pollution chimique, malgré la grande part occupée par les activités de services, mettant en doute notre capacité à « dématérialiser » l’économie2. En bref, chercher à réduire notre impact écologique en visant la croissance, c’est un peu comme courir à l’envers sur un tapis roulant à l’aéroport : c’est une excellente stratégie pour manquer notre vol.

Appropriation

Cela dit, le coût le plus indécent de notre appétit insatiable n’est peut-être pas environnemental, mais social. Afin de le satisfaire, les pays riches se sont approprié, depuis 1990, l’équivalent de 242 000 milliards de dollars américains en travail et matières premières provenant de pays dits « en développement », tout en y exportant une large partie des dommages environnementaux. C’est 80 fois l’aide internationale fournie à ces pays, de quoi contester notre soi-disant générosité et éclairer les mécanismes d’exploitation soutenant nos modes de vie.

Consommer de façon responsable n’y changera rien, car notre système économique repose sur l’existence de telles inégalités : pour extraire un profit, il faut que quelqu’un perde au change. Malgré l’adage voulant qu’en faisant grossir la tarte chacun puisse avoir une meilleure part, seulement 2 % de la richesse mondiale produite depuis le milieu des années 1990 est allée au 50 % les plus pauvres, tandis que le 1 % des plus riches en accaparait 38 %.

Voilà qui met en perspective notre participation à cette grande course. L’augmentation de la productivité, qui aurait pu se traduire par une réduction du temps de travail et une meilleure vie pour tous, s’est plutôt évaporée sous forme de profits vers un nombre restreint d’individus, pendant que la prévalence de maladies comme la dépression augmente, et que de plus en plus de personnes ont du mal à joindre les deux bouts. Est-ce là le genre de société à laquelle nous aspirons ? Quel sens ont nos vies si nous restons condamnés à être les rouages d’un système qui ne cherche qu’à en obtenir toujours plus, au détriment de ce qui importe vraiment – la construction d’un monde habitable, juste et réellement démocratique ?

En ce moment charnière, mon inquiétude est qu’aucun d’entre vous ne trouve le courage de proposer un contrat social qui nous permette d’entrevoir l’avenir avec un peu plus de confiance. Lors des dernières élections fédérales, Noémi Bureau-Civil prônait la décroissance. Qui, parmi vous, osera un tel pragmatisme ?

Consultez des données sur la demande énergétique (en anglais) Consultez un avertissement de scientifiques (en anglais) Lisez un article sur l’appopriation de richesses dans le monde (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion