C’est décidé ! Une bonne fois pour toutes. La goutte a pété le vase, c’est maintenant ou jamais : je m’envole pour la campagne. Famille, femme et enfants, nous tous, à la campagne. Un rêve de toujours va se réaliser. Merveille !

Oups ! Ne vendez pas votre condo tout de suite.

Heureux homme, vos courtiers vous ont déniché un merveilleux lopin de six hectares, pas trop grand, pas trop prêt, pas trop loin. Le notaire a pris vos économies d’une main et vous a tendu un feuillet blanc et noir de l’autre : « La CPTAQ vous informe ».

Le feuillet devient rapidement plus noir que blanc. En gros, c’est vous qui paierez les frais, taxes et autres, mais c’est cette Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ) qui en est véritablement propriétaire. Ce sont ces commissaires qui décideront ce que vous pourrez faire de votre nouvel Eden. Votre Eden : un terrain le long d’un petit ruisseau gorgé de dorés et de truites, un petit étang à canards cerné de quenouilles, une bonne centaine de gros érables en bonne santé et tout ça avec le wi-fi, l’autobus scolaire et le camion à vidange. Vous avez déboursé une fortune pour trouver ce paradis. C’est idyllique, mais ce n’est plus bon marché la campagne !

Il y a certainement possibilité d’y faire quelque chose avec toute la bonne foi et l’entêtement que vous pouvez y mettre. Oui, vous pouvez vous adonner à l’agriculture, mais rien d’autre. Rien.

Une dérogation ?

Peut-être obtenir une dérogation, retirer votre lopin de la zone agricole ? Impossible, seule une municipalité peut en faire la demande. Vous pouvez toujours investir un 5000 $ pour vous faire monter un dossier par un ancien commissaire. Les commissaires font leur terme puis certains passent au privé comme consultants. Seule l’Union des producteurs agricoles (UPA) a une voix permanente. Pour justifier un refus de ces commissaires, il n’y a que 14 critères, tous plus surprenants les uns que les autres. En cas de refus, vous pouvez faire appel. Mais l’appel se fait devant les mêmes commissaires. Un peu surprenant, direz-vous ? Mais passons.

Peut-être pourrez-vous construire une résidence si vous démontrez que vous tirerez de ce lopin vos revenus principaux et qu’il n’y a pas d’autres terrains quelque part autour qui feraient l’affaire. Six hectares ! Comment vivre de ça ? Belle affaire ! Ce n’est pas ailleurs que je veux vivre. C’est ici que je suis propriétaire, pas ailleurs. C’est une décision qui m’appartient, je pense. Quant à changer de profession, il me semble que c’est un peu excessif comme exigence.

Le feuillet noir est clair : la Province appartient en entier à ces commissaires sauf quelques morceaux déjà urbanisés. La Province sera agricole ou ne sera pas !

Si jamais vous émergez de cette fosse, ne vendez pas votre condo tout de suite.

Des autorisations ?

Si vous émergez, vous pourrez être « autorisé » à faire autre chose que de l’agriculture. Le concept d’autorisation est entièrement contraire au concept de propriété, mais passons ! Vous avez déjà compris que vous n’êtes pas chez vous, mais chez eux. D’ailleurs, les inspecteurs de tout horizon viennent sur votre propriété sans même vous le faire savoir.

Il pourra se trouver dans « l’autorisation » des conditions et restrictions plus surprenantes encore : stationnement sans asphalte, bâtiments temporaires, etc. L’autorisation pourra aussi vous laisser lotir votre terrain. Un terrain agricole ne se divise jamais sauf avec une telle autorisation.

Si c’est le cas, vous devez embaucher un arpenteur géomètre pour établir les bornes du ou des terrains mis en vente. La superficie du terrain est généralement de 3000 m2 sauf s’il y a de l’eau pas trop loin. Alors 4000 m2. C’est 45 000 pi2. L’arpenteur établira des plans puis il fera une requête au Service de cadastre provincial pour obtenir un numéro de cadastre, qui sera ensuite transmis à la municipalité qui émettra, elle, un numéro de matricule, puis vous enverra une facture pour « Frais de parc ». Quel Parc ? Pourquoi tous ces numéros ? Les délais, n’y pensons même pas. Passons !

Des grilles de zonage

C’est au bureau municipal que vous devez poursuivre votre saga. Vous y déposerez votre projet de construction. La municipalité vérifiera auprès de la CPTAQ pour certifier quelques choses. Puis, auprès de la MRC pour vérifier que leur schéma d’aménagement permet une résidence familiale et à quelles conditions ! Si vous passez ces barrages, vous retombez alors dans les exigences du Règlement de zonage de la municipalité.

Vous pouvez alors demander les grilles de zonage triturées par un urbaniste avec ces petits carreaux remplis de A, de B, de C, puis de AB, AC, BC, etc. Faites-vous expliquer, ce sera plus prudent. Heureux homme, il semble possible que vous puissiez éventuellement considérer construire une résidence unifamiliale, non multigénérationnelle, sans locataire au sous-sol, non attaché, avec un garage pas plus gros que la maison, excluant une liste de matériaux interdits, à telle distance de la route, dans tel alignement, avec des marges latérales précises et avec accès certifié par les pompiers, bien entendu.

Vous commencez à comprendre que la campagne n’est plus ce qu’elle était.

Vous ne vendez pas votre condo tout de suite.

Il vous faut maintenant localiser le puits artésien, la fausse sceptique et le champ d’épuration. Un ingénieur certifié en percolation est nécessaire. Les règles sont strictes. Si vous avez plus de cinq chambres, vous tomberez dans les gros modèles. Le champ d’épuration vous contraindra à abattre la moitié de vos érables que vous ne pouviez même pas approcher hier et modifiera tout votre aménagement, car aucun véhicule ne peut passer au-dessus.

Ne vendez pas votre condo tout de suite.

C’est maintenant le tour de l’Environnement. Leurs règles sont innombrables et d’un flou total. Votre petit quai sur le ruisseau : oubliez ça ! Des espèces encore inconnues pourraient y voir le jour un jour. Pas de travaux non plus pour vous aménager une petite plage, une mini plage, déplacer trois roches… pour les enfants. N’osez jamais cela. L’étang à canards, il vous faut un plan préparé par un biologiste certifié et quelqu’un quelque part aimera ou pas. Mais ce n’est pas là le morceau : une photo aérienne a identifié votre lopin comme « endroit à risque » pour des terres humides. Vous êtes pris.

Les terres humides, c’est ce qu’il faut craindre par-dessus tout si l’on songe à la campagne pour y être comme chez soi.

Depuis 2017, les milieux humides sévissent sur toute la province. Les gourous du ministère de l’Environnement y veillent. Il y a plusieurs sortes de terres humides ou hydriques. Il vous faut un professionnel ou un titulaire d’un diplôme universitaire en biologie, en science de l’environnement ou en écologie du paysage et, le cas échéant, ayant les compétences déterminées par le règlement du gouvernement (art. 46.0.3 [1] LQE) pour décider si c’est un marais, de l’eau résiduelle, de l’eau de pluie, un canal d’irrigation bouché ou tout bonnement de la terre.

Autrement, pas question que la municipalité délivre le permis de construction. Trois chemins s’offrent à vous : remplacer le terrain humide par un autre terrain que vous donnerez à la municipalité qui pourra le refuser, payer une somme compensatoire non déterminée, mais qui pourra être plus élevée que la valeur du terrain ou… rester en ville.

Ne vendez pas votre condo. Vendre le terrain ? Si possible !

C’est rendu cher, la campagne. Peut-être pas pour le monde non plus.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion