Non, les évènements de violence envers les politiciens n’étaient pas que la « couleur » de la première semaine de campagne électorale québécoise. Non, le tourmenteur de Marwah Rizqy n’est pas un désaxé. Et non, Éric Duhaime ne « canalisera » pas la hargne de ses partisans.

Cette première semaine fut fertile en faits inouïs. Gardons-nous d’en faire des anecdotes. C’est plutôt l’apparition spectaculaire, au grand jour, d’un mal qui mine nos sociétés démocratiques et qui vient frapper le Québec de plein fouet. Il y a beaucoup à dire à propos de ces évènements qui révèlent une cassure dans le moule québécois.

D’abord, le vandalisme sur des pancartes électorales, le saccage des locaux d’Enrico Ciccone, le sang virtuel sur l’affiche du candidat caquiste Sylvain Lévesque et ces menaces frontales à l’égard de la libérale Marwah Rizqy sont à dénoncer sans appel. Cela survient après que des personnalités publiques sur les réseaux sociaux, des médecins, des scientifiques, des journalistes couvrant le convoi de la liberté, ont été menacées. L’affaire, avec les élus, est qu’ils sont la première ligne de la démocratie. C’est rendu loin !

Mais on fait erreur en traitant les agresseurs de coucous, de malades, de désaxés. Au nombre qu’ils sont, à l’assurance d’être dans leur bon droit, avec les commentaires favorables qu’ils récoltent sur les réseaux sociaux, on en vient à penser que la maladie mentale a le dos large.

On assiste à la cristallisation d’un phénomène social, d’un réel mouvement, qu’il faut traiter comme tel. Il ne faut pas parler de phénomènes isolés : ils ont la force du nombre. D’où émane ce mouvement ? Que veut-il ? Est-il canalisable ? Que fait-on avec ça, comme société ? Voilà quelques questions basiques à se poser. Dorénavant, ne pas le faire équivaut à se mettre la tête dans le sable.

Ensuite, il faudrait admettre que ce qui est survenu au Québec depuis deux ans implique de la haine. La pandémie n’explique pas tout. L’enjeu ne concerne pas tant la liberté de refuser un vaccin. C’est plus profond. Nous n’avons pas affaire à des cyniques, mais à des haineux. Une colère sourde mine le collectif, qui se manifeste de plus en plus ouvertement. Après l’épisode des « camionneurs » d’Ottawa, instrumentalisés, financés par les États-Unis, en lien avec des trumpistes, un point de non-retour a été franchi. Le vaccin n’était qu’un prétexte. Que visent cette colère et les menaces ouvertement exprimées ? Ce n’est assurément pas une soupape. Ça vise à créer un climat de crainte, que les journalistes se taisent. Que des internautes y pensent à deux fois avant de tweeter. Que d’aspirants politiciens ne se présentent pas. Ils veulent censurer.

Et Éric Duhaime, le chef du PCQ, qui incarne cette mouvance libertarienne et qui attire la sympathie de plusieurs des tenants des fantasmes complotistes, peut-il, comme il l’a affirmé, canaliser cette énergie s’il est élu à l’Assemblée nationale ? Pourra-t-il calmer la donne ? On peut en douter lorsqu’on regarde du côté du Parti républicain au Sud, toutes choses étant relatives : Duhaime n’est pas Trump, et le Québec n’est pas les États-Unis. Mais l’accession au pouvoir de Donald Trump n’a rien calmé, bien au contraire, et son ascendant sur ses troupes semble accru depuis qu’il a perdu les élections.

Duhaime pourra-t-il, voudra-t-il endiguer la radicalisation ou en sera-t-il la première marche vers son officialisation ? Sa base pourrait paradoxalement se lasser d’éventuels compromis s’il est élu. Elle cherchera plus hard qu’Éric…

Les évènements de la dernière semaine me disent qu’il y a quelque chose de cassé dans notre société. Nous assistons aux effets et aux conséquences d’une crise de confiance de beaucoup face aux institutions et aux élites. L’idée même d’une cohésion sociale nécessaire, d’une confiance qui doit exister entre une population et ses représentants est enrayée. Pire : défiée. Certes, les élites, toutes les élites, aussi bien économiques, sociales, médiatiques que politiques, se sont avérées pour le moins déconnectées de la population ces derniers temps. Mais face à elles, on découvre un déclin de la civilité. Une société qui favorise le passage à l’acte de déréglés a décidément un gros problème.

Comment répare-t-on une société cassée ? Je ne connais pas la solution rapide. Je pose simplement le constat, inquiète. Et me demande même si l’antidémocratisme ambiant, au fond, n’était pas le meilleur allié de l’ordre établi, faisant paraître raisonnable et réconfortant le projet de centre droit mou de la CAQ…

En ces temps sombres et incertains, la majorité sera tentée de se rabattre sur le beige et le bleu pâle.

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