Seront rassemblés à Londres lundi pour les funérailles d’Élisabeth II les souverains, dirigeants et dignitaires de la presque totalité des pays du monde.

L’empereur Nahurito y sera, lui qui n’est encore jamais sorti du Japon, tout comme les représentants des anciennes colonies britanniques. Même Vladimir Poutine y serait peut-être allé si on l’avait invité.

L’Empire britannique

Ce sera l’adieu du monde nouveau au monde ancien, la dernière fois que se manifestera cette version de l’humanité historiquement façonnée depuis 500 ans par l’Europe, tout particulièrement par cet Empire britannique « sur lequel le soleil ne se couchait jamais ». Le Royaume-Uni deviendra, avec la mort de la reine, un pays comme les autres, après avoir accouché du géant américain et diffusé sa langue à la grandeur de la planète.

Pour qui s’intéresse à l’histoire, il sera difficile de ne pas penser aux funérailles de la reine Victoria il y a 120 ans, cette souveraine d’Angleterre et impératrice des Indes qui avait incarné le XIXe siècle comme Élisabeth a incarné le XXe.

Victoria laissait également un prince de Galles âgé et mal-aimé qui attendait son tour depuis des décennies. Sous le nom d’Édouard VII, il jouera un rôle important dans la conclusion de l’Entente cordiale avec la France, juste avant cette Première Guerre mondiale qui sonnera en 1914 le glas de la domination sans partage de l’Europe sur l’univers, dans un conflit plus terrible que tous ceux qui avaient précédé.

En cette fin d’été 2022 où les tensions et les rivalités entre les États se multiplient, la crédibilité du gendarme américain étant entachée, il est difficile de ne pas faire le rapprochement avec la période ayant précédé la Première Guerre mondiale.

Les Européens sentaient bien à l’époque qu’une guerre menaçait, mais, certains des bienfaits de l’avancement de la science et de l’augmentation du commerce entre leurs nations, ils s’étaient convaincus que le conflit serait court.

Ils ne réalisaient pas que les merveilles de cette science qu’ils célébraient feraient de la guerre qui s’en venait quelque chose de beaucoup plus dévastateur que ce que l’humanité avait auparavant connu.

Spectre d’une grande guerre

De même, aujourd’hui, plusieurs craignent que la guerre en Ukraine ne soit que la prémisse de quelque chose de plus terrible : une autre grande guerre où l’utilisation pour la première fois à des fins destructrices des toutes puissantes technologies numériques, sans parler du nucléaire, ne laisserait aucune région de la planète en sécurité.

Que l’on pense aux ravages que causerait en juste quelques jours la paralysie des transactions électroniques dans une société comme la nôtre.

Penseront-ils à ces périls, les dirigeants qui se retrouveront à l’abbaye de Westminster lundi ? Le Kaiser allemand Guillaume II y avait-il pensé, lui qui était venu à Londres assister aux funérailles de Victoria, sa grand-mère bien-aimée, avant de provoquer le cataclysme de 1914 ?

On se recueillera lundi sur la personne qui bénéficiait du statut le plus élevé sur la planète. Une jeune femme devenue au fil des décennies une vieille dame incarnant, avec un professionnalisme sans faille, les valeurs qui ont fait la grandeur de son pays, recevant deux jours avant sa mort la nouvelle première ministre britannique pour la passation des pouvoirs.

Il y aura, bien sûr, des pisse-vinaigre pour rappeler l’indécence de célébrer quelqu’un qui ne devait son statut qu’à sa naissance, élément décoratif ne valant pas mieux que le premier quidam venu.

Il y en aura d’autres pour calculer dans le détail combien coûtent ces parasites royaux à la nation britannique, à laquelle sa monarchie a assuré un prestige unique au monde, attirant chaque année à Londres des centaines de milliers de touristes.

La Constitution de 1982

Il y a enfin ceux qui rappelleront que la monarchie britannique incarnait un empire qui a fait des ravages sur le plan historique, que c’est Élisabeth II qui a signé cette Constitution canadienne de 1982 qui semble condamner la nation fondatrice québécoise à une ethnicisation croissante.

Qu’il est tentant d’oublier que ce n’est pas la reine, mais bien Pierre Elliott Trudeau, qui a rapatrié la Constitution en 1982, comme ce n’est pas Élisabeth II qui a voté Non aux deux référendums québécois ni nommé une gouverneure générale qui ne parle pas le français, contrairement à elle et au nouveau roi Charles III.

Faut-il rappeler enfin qu’empire pour empire, le britannique en valait bien d’autres, sûrement plus en tout cas que la sinistre hégémonie chinoise qui semble parfois s’annoncer ?

Les émotions suscitées par la mort d’Élisabeth II montrent que, n’en déplaise aux idéologues de tout acabit, les choses ne sont souvent pas noires et blanches dans la vie.

Pour le reste, c’est désormais moins à Londres et à Paris qu’à Séoul et dans les autres mégalopoles asiatiques que battra de plus en plus le pouls de la nouvelle humanité qui enterrera Élisabeth II lundi.

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