On oublie souvent que, derrière la Couronne, se cache un être humain, lequel a une famille de surcroît, fût-elle royale. Certains semblent même avoir oublié que cet être humain est mortel, comme tous les autres. Je parle bien entendu d’Élisabeth II, dont les funérailles ont lieu aujourd’hui, et qui laisse derrière elle un souvenir mémorable.

Bien que des gens se soient dits surpris de son décès, en dépit de son âge très avancé, il y avait évidemment des signes avant-coureurs que sa santé faiblissait et que cette dernière était sur le point de basculer. Par exemple, en mai 2022, ce n’est pas elle, mais plutôt Charles qui a fait la lecture du discours du trône au Parlement de Westminster. C’était seulement la troisième fois pendant son long règne de 70 ans qu’elle devait ainsi passer le flambeau (les deux autres fois, elle était enceinte d’Andrew et d’Edward).

En février dernier, la reine a tenu à cautionner l’idée voulant que Camilla devienne reine consort au moment de son décès, démontrant par là qu’elle préparait avec soin cette dernière éventualité.

Une relation de longue date

La relation que le Canada entretient avec la famille royale britannique ne date pas d’hier, bien entendu. Elle date de bien avant la naissance de la fédération canadienne. En 1867, au moment de la création du Canada — ce pays n’était d’ailleurs composé que de colonies de peuplement ou de conquête –, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique n’a pas mis fin à ce statut colonial. Il fallut attendre jusqu’en 1931 pour que le Canada acquière sa souveraineté étatique, avec le Statut de Westminster de 1931, et jusqu’en 1982 pour qu’il obtienne sa pleine souveraineté constitutionnelle, avec la Loi de 1982 sur le Canada.

Le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 précise que les provinces fondatrices du Canada ont souhaité que le pays à naître prenne forme et se développe sous la Couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande. La loi de 1867 consacre par ailleurs les principaux pouvoirs du souverain, pouvoirs auxquels il faut ajouter ceux découlant des prérogatives royales ou de lois organiques.

Quant à la Loi constitutionnelle de 1982, elle enchâsse la fonction de reine, de gouverneur général et de lieutenant-gouverneur dans la Constitution du pays. Ce faisant, elle cristallise le principe monarchique et lui donne une pleine valeur et autorité constitutionnelle.

Un chef qui ne gouverne pas

Cette monarchie dont nous parlons ici n’est toutefois pas absolue. Elle est plutôt régie par la Constitution en général, et par les conventions constitutionnelles en particulier. Ce sont d’ailleurs ces dernières qui viennent, dans les faits, dépouiller le monarque et ses représentants — le gouverneur général et les lieutenants-gouverneurs — de la plupart de leurs pouvoirs réels.

Par conséquent, au Canada, le chef de l’État règne, mais ne gouverne pas. Ses pouvoirs sont essentiellement symboliques. Il arrive cependant des circonstances où il doit prendre de vraies décisions, comme quand il faut nommer un premier ministre, former un gouvernement ou dissoudre ou proroger la chambre élective. Car, ne l’oublions pas, dans notre régime parlementaire de type britannique, la monarchie ne saurait être dissociée du principe du gouvernement responsable.

Ainsi, tant que le premier ministre et les ministres disposent de l’appui d’une majorité simple d’élus du peuple, ils peuvent diriger les destinées de l’État et prendre les décisions journalières nécessaires à sa gouverne.

Lorsqu’ils perdent cet appui, leur légitimité politique est alors remise en question et le monarque — ou ses représentants — doit alors faire en sorte que la survie et la continuité de l’État soient assurées et que la responsabilité ministérielle soit respectée.

Le roi Charles III est, depuis le 8 septembre, le chef de l’État canadien. Il est à la tête du pouvoir exécutif. Il fait partie — par l’intermédiaire de ses représentants — du pouvoir législatif, et l’on dit du reste qu’il est la fontaine de la justice. Et cela, c’est sans oublier qu’il est aussi le commandant en chef des forces armées.

De fait, au Canada, en ce qui touche la désignation du souverain, on applique le principe de la symétrie.

C’est-à-dire que le roi (ou la reine) du Canada est reconnu comme tel en raison du fait qu’il est le roi (ou la reine) du Royaume-Uni, tel que ce dernier est désigné ou déterminé par les règles relatives à la succession au trône du Royaume-Uni.

Ces règles peuvent d’ailleurs être modifiées de temps à autre par le Parlement de Westminster. Cela n’enlève absolument rien au fait que c’est bel et bien en sa qualité de roi du Canada que Charles III agit à l’égard de l’ensemble des Canadiens, et non à titre de roi du Royaume-Uni. Cela découle des circonstances historiques, lesquelles ont voulu que les relations entre le Canada et le Royaume-Uni évoluent avec les années.

Ainsi, le Canada est progressivement passé de colonie à pays indépendant. La Loi de 1982 sur le Canada, entrée en vigueur le 29 mars 1982, prévoit par ailleurs qu’aucune loi britannique ne peut s’appliquer au Canada à compter du 17 avril 1982.

Stabilité

Quant au Royaume-Uni, il était évidemment au cœur de l’Empire britannique. Il est maintenant au centre du Commonwealth. Ce dernier est une association d’États. La Couronne est le symbole de cette libre association des membres de la communauté des nations dites britanniques. Soit dit en passant, il est tout à fait possible pour un pays comme le Canada d’abolir la monarchie et de demeurer membre du Commonwealth. La Barbade l’a fait en 2021.

La question peut se poser de savoir ce que l’arrivée d’un nouveau roi du Canada — Charles III — change en ce qui concerne la relation entre la Couronne et les Autochtones. La réponse est la suivante : absolument rien !

Les traités entre la Couronne et les Autochtones devront continuer d’être observés, et le principe de l’honneur de la Couronne, qui a été développé par la jurisprudence et qui comporte une obligation de consulter et d’accommoder les Autochtones, va continuer de s’appliquer.

Le règne de Charles III s’inscrit donc dans la stabilité. C’est d’ailleurs cette constance qui fait la force de la monarchie britannique. Mais cette durabilité résistera-t-elle encore longtemps à l’épreuve du temps ? Un nombre sans cesse croissant de Canadiens semblent en douter, à tout le moins en ce qui concerne le Canada.

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