La question se posait à la veille des élections de lundi dernier : les oppositions étaient-elles prêtes à gouverner ? La réponse fut carrément NON. Mais la nouvelle question qui devrait obséder les stratèges de tous les partis de l’opposition est : le seront-elles dans quatre ans ? Un indice ? La réponse commence par un N.

Les Québécois sont formels : ils aiment la CAQ, adorent François Legault. Le parti a remporté 90 circonscriptions et est souvent deuxième, même à Montréal. Les oppositions, à l’image d’un sondage radio, se sont toutes proclamées gagnantes le soir de l’élection, mais dans les faits, elles étaient déjà faibles le 1er octobre, et pis encore le 3. Et ça n’ira pas en s’améliorant.

Le PQ, malgré son talentueux Paul St-Pierre Plamondon, est toujours en sursis, menacé par la simple loi de la démographie. QS stagne, urbanissime, voire Ligne orange, engoncé dans l’idéologie. Le PLQ n’est même plus municipal. Il est devenu le parti d’anglos et d’allophones du West Island. Quant au PCQ, littéralement hors de l’enceinte parlementaire, il est condamné à un avenir bruyant et rocambolesque. Il devra lutter pour se faire entendre pendant quatre ans, et se construire, chose pas évidente pour un parti fondé sur la méfiance et le ressentiment. Et Duhaime restera-t-il ?

Bref, les chantiers des quatre oppositions sont titanesques.

Comment ces partis pourront-ils espérer cogner aux portes du pouvoir dans quatre ans ? C’est mathématiquement quasi impossible dans notre système électoral conçu pour deux, limite trois partis.

D’autant que dorénavant, les Québécois peuvent et VEULENT voter de manière éclatée, selon les différents axes qui structurent à présent les débats et la société. Nous sommes complexes, dans un monde diversifié.

François Legault l’a coulé dans le béton : il ne changera rien au mode de scrutin actuel qui sert si bien les partis au pouvoir. Il renie un engagement de 2018, mais bon, ça n’intéresse que les « intellectuels ». Quoique de toute façon, une proportionnelle mixte n’aurait pas changé grand-chose et créerait d’autres débalancements. Il faudra vivre avec notre vieux mode de scrutin, et au mieux, espérer des aménagements, et souhaiter beaucoup de bonne foi de la part de la CAQ. Mais en gros, le débat est clos et la CAQ est là pour gouverner longtemps (avec ou sans François Legault), ne serait-ce que parce que les quatre autres partis vont vivre ces prochaines années des crises – de vieillesse ou d’adolescence – assez intenses.

Mais surtout, parce que le Québec se sent très confortable dans ses habits bleu poudre. Ils plaisent à tous les groupes d’âge, à toutes les nuances de classes moyennes, ils sont traditionnels et rassurants, juste assez neufs. Au Caquistan, la palette idéologique ne heurte pas le regard.

Dans son beau coton ouaté azur, la CAQ pourra clamer qu’elle aborde son premier véritable mandat. Depuis 2018, elle n’aura au fond que peu gouverné, mais surtout géré une crise inédite, deux années suspendues, où la vie normale et démocratique était dans les limbes; 2022 se présente comme le premier vrai gouvernement caquiste. Et Legault aborde ce terme bien moins maganné que plusieurs autres élus occidentaux.

Il profitera aussi de la faiblesse des oppositions, leur concédera parfois, magnanime, quelques projets de loi transpartisans. Il mènera sa barque, impérial, fort du nombre. Il y aura même d’agréables surprises, car il y a du talent au sein de la vaste députation caquiste.

Une véritable machine à gouverner se déploiera et administrera, forte de ses appuis dans toutes les régions. Les oppositions, occupées à survivre, condamnées par le mode de scrutin à végéter chacune dans ses terres, se retrouveront inévitablement dans la même impasse en 2026.

Elles seront systématiquement faibles. Même avec un nouveau chef ou une nouvelle cheffe, même fatiguée par huit ans de pouvoir, la CAQ sera encore puissante. On se dirige vers une dynastie bleu pâle.

L’opposition devra aussi venir d’ailleurs que de l’Assemblée nationale, mais d’où ? On a cru que les maires et mairesses, nouvelle garde plus jeune et préoccupée d’environnement, seraient la nouvelle voix. Mais les villes sont tributaires de Québec, et elles le savent. Et leurs électeurs sont aussi caquistes. Les médias ? Ils font face, ces temps-ci, à la défiance croissante de nombreux citoyens. Les réseaux sociaux ? Trois points de suspension.

Nous sommes dans une impasse.

Une impasse triomphante, rayonnante. Consentie, vivable, démocratique, et parée de la plus jolie couleur au monde, pour l’immense majorité. Le bleu ciel est là pour huit ans minimum. Contrairement à ce que Pantone peut annoncer, c’est cette nuance bien précise de bleu qui sera la couleur, non pas de l’année, mais des années 2020 au Québec. Bleu dynastie.

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