En septembre dernier, nous faisions le malheureux constat que le Canada allait essuyer une perte de 22 millions de doses de vaccins contre la COVID-19, car ils étaient devenus périmés. Une partie de ces vaccins ont été détruits (ou vont l’être incessamment) après avoir expiré dans les entrepôts fédéraux canadiens. Une autre partie est devenue périmée sur la plateforme COVAX, dont l’objectif est de redistribuer des vaccins aux pays moins nantis, car il n’y avait pas de pays preneurs.

Cette semaine, le volume total de vaccins qui a été détruit ou sera détruit est monté à 32 millions. Cet ajout de 10 millions représente la perte de vaccins au niveau des provinces et celle anticipée avec l’arrivée du nouveau vaccin bivalent contre l’Omicron.

C’est un scandale.

Pour rappel, le Canada avait fait des précommandes de 358 millions de doses de vaccins contre la COVID-19 soit plus de 9 doses par Canadien. Ceci n’est pas totalement étonnant ni choquant : notre gouvernement a fait des paris et au printemps 2020, il a choisi de miser sur différents candidats vaccinaux, car il était loin d’être clair quel vaccin se prouverait efficace pour nous protéger contre la COVID-19. Plus que pas assez était l’état d’esprit. Nous n’avons pas pris de risque. Et wow, la science a fait des pas de géant en développant plusieurs vaccins très efficaces pour contrer la maladie sévère en 10 mois.

Ce qui est malheureux, c’est de ne pas avoir anticipé davantage le surplus de vaccins qui allait s’accumuler au cours des mois avec des dates de péremption imminentes.

La durée de vie des vaccins mARN est de 6 mois en chaîne de froid. La gestion de vaccins, comme toute gestion de produits pharmaceutiques, est une gymnastique de roulement d’inventaire avant la date d’expiration.

Et c’est là que le bât blesse. Dès qu’il y a eu une décélération dans la vaccination l’an dernier, une accélération du partage de vaccins aurait dû se mettre en branle d’urgence, car le Canada savait qu’une chaîne d’approvisionnement était assurée en aval. Au printemps 2021, je plaidais pour « partager avant qu’il ne soit trop tard »1. C’est une posture pragmatique et solidaire.

Car partager des vaccins avec des pays moins nantis doit s’anticiper pour transformer des vaccins en vaccination. Cette transformation se décline en trois temps : l’approvisionnement, la distribution et la création de la demande. L’approvisionnement doit se faire en temps opportun, quand le besoin est ressenti, et s’annoncer d’avance pour que les pays récepteurs puissent se préparer en amont pour l’entreposage. La distribution demande une orchestration du mouvement des vaccins sans bris de chaîne de froid avec du personnel formé. La demande doit se créer par des campagnes de sensibilisation à la vaccination pour que les populations désirent se faire vacciner. Ce n’est pas parce que les vaccins sont gratuits que les gens vont se bousculer pour y avoir accès. Et cela est d’autant plus vrai dans les pays où le simple coût du transport pour se rendre au point de vaccination représente plusieurs jours ou semaines de salaire. Il faut se rappeler qu’au Québec, nous avons même créé une loterie pour encourager la population à se faire vacciner.

Mais tout cela pour dire qu’on aurait pu minimiser ces pertes. Ainsi, pour être mieux préparé pour la prochaine grande urgence sanitaire, il faudra gérer des « stocks » d’outils de contre-mesure (masques, protections personnelles, vaccins, traitements antiviraux, diagnostics rapides) non pas en vase clos, mais plutôt en roulement d’inventaire intelligent en partageant à l’international précocement et régulièrement. Par exemple, s’il y avait des protections personnelles adéquates pour des fièvres hémorragiques, on pourrait penser à les offrir à l’Ouganda qui affronte une épidémie d’Ebola en ce moment. L’idée est d’éviter des pertes massives d’inventaire, de le garder fraîchement renouvelé pour être toujours prêt, tout en étant solidaire.

1 Lisez le texte « Vaccins : partager avant qu’il ne soit trop tard » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion