Nous vivons dans une période où les valeurs démocratiques sont menacées.

Les technologies numériques, même si elles procurent de nombreux avantages, contribuent fortement à cette menace. Elles facilitent la désinformation et parfois même la violence. Elles ont créé le capitalisme de surveillance, qui maximise le profit des entreprises aux dépens du respect des valeurs fondamentales, dont le respect de la vie privée.

Pour contrer ces menaces, les démocraties doivent adopter des mesures robustes fondées sur leurs valeurs, et non des lois qui prétendent protéger les citoyens tout en permettant le maintien des conditions qui ont mené à l’actuel Far West numérique.

Le Parlement fédéral a entamé son étude d’une nouvelle loi sur la protection de la vie privée dans le secteur commercial, le projet de loi C-27. Ce projet de loi comporte des avancées intéressantes par rapport à son prédécesseur, le projet de loi C-11, mort au feuilleton. Il est néanmoins beaucoup trop timide pour protéger efficacement les Canadiens, entre autres en raison de ses dispositions sur les sanctions et le régime d’application de la loi.

Droit fondamental

Au cours de son étude, le Parlement devra décider si le droit à la protection de la vie privée devrait être reconnu de façon formelle comme un droit fondamental de la personne. Cela devrait aller de soi, le Canada étant partie à plusieurs instruments internationaux qui le stipulent.

Le projet de loi C-27 fait des pas dans cette direction, en proposant un préambule qui encouragerait les tribunaux administratifs et judiciaires à interpréter la loi en tenant compte du fait que la protection de la vie privée « est essentielle à l’autonomie et à la dignité des personnes et à la pleine jouissance des droits et libertés fondamentaux ». Mais la vie privée en soi ne serait pas reconnue comme un droit fondamental. Cela risque de diminuer le poids relatif du respect de la vie privée, par rapport aux intérêts commerciaux, lorsque les tribunaux auront à juger de la légalité de pratiques intrusives.

Il faut surtout souligner que malgré le préambule, aucune sanction financière ne pourrait être imposée aux entreprises qui traiteraient les données personnelles des citoyens sans égard au fait que le respect de la vie privée est essentiel à la jouissance des droits et libertés fondamentaux.

Dépourvu de sanctions, le préambule ne serait donc qu’une illusion. Quand le gouvernement dit que son projet de loi édicterait les sanctions les plus élevées du G7, il s’agit en fait d’un slogan publicitaire et non de la réalité. Il y aurait effectivement des sanctions pour certaines infractions, mais aucune pour les violations aux dispositions qui protègent la vie privée dans son essence même.

Avec ce projet de loi dans sa forme actuelle, le Canada arriverait donc à court de ce qui devrait être son ambition : protéger ses valeurs fondamentales dans une économie numérique qui, même si elle peut servir l’intérêt public – par exemple, dans les domaines de la santé et de l’environnement –, a démontré pouvoir également saper les valeurs de notre démocratie.

Le projet de loi préserverait aussi les conditions du Far West en permettant aux entreprises de définir, sans grandes restrictions, les fins auxquelles elles peuvent utiliser les données personnelles.

Une limite importante apparaît dans la loi : les fins doivent être acceptables aux yeux d’une personne raisonnable. Mais encore une fois, violer cette limite ne donne pas lieu à des sanctions !

Cela dit, le projet de loi C-27 comporte des améliorations par rapport à son prédécesseur. Par exemple, il reconnaît que la protection de la vie privée ne peut reposer que sur le principe du consentement. Il fait certains pas en faveur d’un droit à la réputation. Il vise à mieux protéger les enfants.

Il est urgent que le Canada mette à jour ses lois sur la protection de la vie privée, dont celle du secteur privé présentement à l’étude. Dans ce contexte et malgré ses défauts, le projet de loi C-27 constitue un point de départ acceptable. Cependant, certains amendements seront absolument nécessaires pour faire en sorte que nos valeurs fondamentales soient réellement protégées.

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