Julie*, la voisine de Manon* a composé le 911 en soirée. Elle avait peur. Peur que Manon fasse du mal à quelqu’un ou à elle-même. En chute libre depuis quelques semaines, Manon s’en prend verbalement à autrui. Imprévisible et intempestive, elle tient des propos injurieux et inquiétants. Pas encore de menaces ouvertes, mais un comportement et des propos alarmants. Une rupture difficile semble avoir précipité la dégringolade, alimentée par un abus de consommation psychoactive. Manon est devenue un volcan émotionnel et comportemental qui crache sa lave brûlante. Ce soir, elle criait sa hargne sur le trottoir depuis plus d’une heure, au hasard de sa détresse. Julie s’est décidée : elle appelle la police.

Patrouillant en duo, les agentes Santos* et Tremblay* ont été réparties sur les lieux. Elles ont trouvé Manon assise dans l’escalier extérieur, en larmes, agitée, criant aux deux policières de sacrer leur camp. Malgré cette hostilité, les deux policières ont fait ce pour quoi elles ont été formées : répondre aux besoins de sécurité de leur population. Protéger et servir. Protéger le sentiment de sécurité de Julie, servir les besoins de sécurité de Manon. Elles ont pris le temps d’établir un lien de confiance, en tentant de comprendre ce désarroi, moteur du vortex psychologique et émotionnel rendant craintif l’entourage.

La « vraie police » ?

Qu’est-ce que « la vraie police » ? Les taux de criminalité fluctuent, mais on observe globalement des tendances à la baisse depuis des décennies, même si une hausse de certains crimes laisse croire le contraire. A contrario s’accroît la visibilité de multiples problèmes psychosociaux. Le tissu sociocommunautaire de nos collectivités se transforme. On refuse dorénavant de détourner le regard. Comme Julie, on veut signaler un problème qui confronte notre sentiment de sécurité, craignant qu’un drame ne survienne. On compose le 911, car on ne sait pas quoi faire pour aider ou être aidé. Une majorité de ces appels, théoriquement non criminels, sont dorénavant qualifiés comme étant de nature sociale. Conséquemment, la mission policière quotidienne se transforme.

Mais ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de crime qu’il n’y a pas d’enjeu de sécurité publique. Au contraire.

Protéger et servir, qu’est-ce que ça signifie ? Par leur professionnalisme et leur humanité, les agentes dépêchées procèdent habilement à la désescalade de la crise et convainquent Manon d’accepter qu’on l’oriente vers une ressource spécialisée, qu’on la transporte vers des services médicaux ou qu’on la dirige vers une équipe multidisciplinaire qui veillera à l’accompagner vers de meilleurs lendemains.

Soyons clairs : si Manon est agressive, désorganisée ou menaçante comme l’a décrit Julie au répartiteur du 911, ce seront des policiers qui se présenteront sur les lieux. Pour une raison très simple, celle des enjeux sécuritaires inhérents à la situation. Ils sont formés pour faire face à la menace, sécuriser un environnement et protéger les personnes présentes, menaçantes comme menacées. C’est la nature même de leur mandat. Aucun intervenant social ou médical, aussi qualifié soit-il dans son domaine d’expertise, ne remplacera la compétence du policier devant la menace à la sécurité des personnes. La société leur confère des pouvoirs extraordinaires de contrainte, justement dans un dessein de protection de la vie.

Temps et soutien pour mieux protéger et servir

Protéger et servir constitue une large mission. Ce spectre inclut la condition dégradée de Manon, le maraudage pour sollicitation sexuelle aux abords d’une école, une situation de violence intrafamiliale, l’émergence désorganisée de gangs et la hausse d’introductions par effraction dans votre quartier. Ce dont les policiers ont besoin, ce n’est pas qu’on cloisonne les types d’intervention selon une vision nostalgique des réalités policières d’une autre époque. Ils ont besoin de soutien et de temps. Du temps pour tisser un lien avec Manon ou Peter*, en amont comme en aval de l’appel au 911, pour écouter et récolter des informations (pouvant devenir du renseignement criminel) pour rassurer, diriger vers une ressource, prévenir ou mettre en état d’arrestation. Du temps pour contacter une ressource spécialisée, le travailleur de rue ou l’enquêtrice en service (manquant eux aussi de temps). Du temps pour retourner prendre des nouvelles de Manon ou Julie, pour descendre de l’autopatrouille et aller jaser avec les jeunes dans le parc ou visiter les commerçants du quartier. Ces différentes facettes de leur quotidien ne sont pas opposées. Les policiers sont hautement formés pour l’ensemble de ces actions. Ils sont fort efficaces si on leur en donne les moyens en leur faisant confiance.

La « vraie police », ce sont les agentes Santos et Tremblay qui ont servi et protégé Manon comme Julie, en se préoccupant du risque que cette détresse humaine ne se transforme en une autre forme de drame.

Protéger et servir sa collectivité, c’est prévenir que le volcan de Manon lui éclate au visage, à celui de Julie… ou au vôtre.

* Les noms sont fictifs

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