Depuis quelque temps, les manchettes font état de la pénurie de main-d’œuvre dans le monde de l’éducation. Principalement de la pénurie d’enseignantes et d’enseignants. Les milieux scolaires ont vécu l’an dernier avec plusieurs personnes non légalement qualifiées (NLQ) qui sont venues prêter main-forte dans les écoles un peu partout au Québec. Pour le meilleur et pour le pire.

Je ne cherche pas ici à faire un retour sur cette première véritable année de pénurie. Mon questionnement est ailleurs. Ça pourrait même être un conte de Noël, selon l’angle sous lequel on le prend. Ou une tragédie à petite échelle. Laissez-moi vous le raconter.

Décembre 2022. Ce vendredi matin, la salle de profs est relativement tranquille. J’arrive peu après le début de la première période. J’ai la 2e, 3e et 4e période aujourd’hui. Je suis enseignant dans une école secondaire. Ça sent bon en entrant dans la salle. Karine a décidé d’acheter des viennoiseries pour les collègues. L’atmosphère est zen. Certaines corrigent, d’autres discutent doucement des premiers plans de vacances du temps des Fêtes depuis un bout. Tous ont hâte aux vacances, mais la dernière semaine a toujours ce « je ne sais quoi » qui la rend irrésistible. Ça sent la fatigue mélangée aux biscuits de pain d’épices.

Anne arrive. Elle était notre éducatrice en 4e secondaire, mais elle a choisi de prêter main-forte en ce temps de pénurie d’enseignantes et d’enseignants. Elle a pris le groupe d’adaptation scolaire en plein milieu de l’année et a redressé la barre comme on ne pouvait pas espérer mieux comme équipe-école.

On est chanceux de compter sur Anne. Vraiment. Elle nous manque comme éducatrice, mais elle a sauvé cette classe comme enseignante.

Dans une discussion entre deux cours, je lui demande si elle aimerait ça, continuer à enseigner.

Elle me confirme qu’elle adore l’expérience et qu’elle souhaite poursuivre, mais, malheureusement, elle n’a pas les qualifications.

Elle aimerait bien faire la maîtrise qualifiante ou le baccalauréat, mais qu’elle ne répond pas aux exigences. Distraitement, je lui demande ce qu’elle a comme études. Je m’attends à la technique et deux ou trois cours universitaires. La chocolatine m’est presque tombée de la bouche. Voici : un baccalauréat par cumul (santé mentale, intervention sociale et toxicomanie), un presque baccalauréat en enseignement du français langue seconde fait ailleurs au Canada, un programme court en pédagogique postsecondaire… et 15 ans d’expertise comme éducatrice au secondaire. Et la réponse laconique des universités ? Non.

Il est là, mon questionnement.

En cette période de pénurie, ce serait bien de reconnaître une perle quand on en voit une.

De lui permettre d’accéder au brevet quand son parcours atypique est révélateur comme celui d’Anne. Pas parfait. Mais assez pour qu’elle se qualifie dans une maîtrise qualifiante ou au baccalauréat pour nous prêter main-forte pour les 15 à 20 prochaines années. Elle ne demande pas à ce qu’on lui donne le brevet. Anne veut faire ce qu’il faut pour l’obtenir. Être admise, c’est tout. Le reste, elle le fera comme tout le monde. Anne est une valeur sûre qu’on ne peut se permettre d’échapper. Comme plein d’autres probablement dans les écoles de la province.

Pour la petite histoire, Anne est titulaire d’un groupe de TSA (trouble du spectre de l’autisme) cette année. Tout le monde y gagne : ses élèves, l’équipe-école… sauf peut-être Anne dans le fond. Si près du conte alors qu’on assiste doucement à une petite tragédie.

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