Il y a quelques jours, j’ai signé mon dernier rapport de coroner. J’en suis bien émue puisque j’aurai investigué sur près de 250 décès au cours des cinq dernières années.

Lors de ma première garde, en 2017, j’ai rapidement réalisé que j’entrais dans un univers qui m’était jusque-là inconnu. Un univers où les cas de putréfaction et de pendaison font partie du quotidien. Un univers où on témoigne de l’infinie tristesse de gens qui ne voient pas d’autre issue que de se donner la mort et où on témoigne du profond chagrin de perdre un proche de façon accidentelle ou imprévue.

Certains décès nous marquent plus que d’autres pour toutes sortes de raisons qui nous sont propres. Je me souviendrai de cette cycliste morte sur la 19e Avenue dans Rosemont en se pressant de se rendre travailler un matin d’été. La vie s’est arrêtée ce matin-là. Je me souviendrai de la tristesse dans le regard des policiers sur la scène de décès, du désarroi qui régnait.

J’ai tant travaillé pour émettre des recommandations qui pouvaient éviter d’autres décès similaires. Mais il y a quand même eu d’autres décès similaires.

Je me souviendrai de cette belle jeune fille morte en raison de la témérité de son copain au volant. Chaque fois que je vais magasiner où elle travaillait, avec ma propre fille, je pense à elle et à sa vie qui s’est arrêtée injustement.

Je me souviendrai de cette maman qui a perdu son fiston de façon inattendue. Un jeune de 21 ans qui avait une malformation cardiaque congénitale. La surprise de ce décès et la profonde tristesse qui a suivi.

Détresse et solitude

Les suicides. À presque toutes mes gardes. La vie qui s’arrête devant les voitures du métro, au bas d’un balcon. Des pendaisons, des pendaisons, des pendaisons.

Un tiers des décès faisant l’objet d’investigations des coroners sont des suicides.

Des jeunes, des vieux. Des femmes, des hommes. Tout ce qu’ils ont en commun est leur profonde détresse. À quand les avancées scientifiques qui nous permettront d’anticiper et de soigner ce mal de vivre qui afflige tant de personnes ?

Et des gens qui meurent seuls. Le courrier s’accumule à la porte, l’auto n’est plus déneigée, les odeurs se répandent, les voisins avisent la police. Une histoire classique qui se répète. Une personne âgée qui a chuté et est décédée suivant un jeûne involontaire, incapable de se déplacer.

Et parfois une histoire d’amour. L’histoire d’une femme d’un certain âge qui côtoyait un homme qui se rendait à pied chez elle tous les matins à l’aube. Un matin sombre, il est heurté par une voiture. Elle n’aura jamais reçu sa visite ce matin-là. Cette histoire m’a tant touchée. Une histoire rendue si romantique par sa simplicité. Il se rendait chez elle en marchant, ils prenaient leur café et jasaient. Elle allait ensuite le reconduire chez lui et le lendemain, il allait la retrouver une fois de plus. Jusqu’à ce matin-là où le café est resté froid sur la table.

La vocation de coroner ne nous quitte pas, même quand on quitte la fonction de coroner. J’ai moi-même quitté la fonction pour aller relever de nouveaux défis, mais je tiens à rendre hommage à tous ceux qui accompagnent les coroners au quotidien, tout particulièrement les préposés à la morgue, les policiers qui se dévouent pour nous accompagner dans notre quête de la vérité, les pathologistes, les toxicologues. J’ai également eu la chance d’avoir d’extraordinaires mentors : le DJean Brochu et MLuc Malouin, coroner en chef adjoint. Et aussi une coroner en chef dévouée qui est à l’écoute de tous, MPascale Descary.

Et que dire de mes extraordinaires collègues qui se dévouent chaque jour afin d’élucider tous ces décès pour la paix d’esprit des familles qui ont perdu un être cher ? Vous êtes de vrais héros. Longue vie à vous tous.

Aux 247 âmes que j’ai accompagnées, reposez en paix ; et à leurs proches, bon courage !

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