La censure a fait surface deux fois plutôt qu’une dans l’actualité québécoise récente. Nous devons la première mise à l’index à une Santé publique inquiète du mimétisme que peut susciter l’apologie du suicide1. Aussi bien intentionnée soit-elle, l’intervention du ministère de la Santé s’est vue décriée par de nombreux commentateurs.

Le second cas résulte quant à lui du plus récent épisode des Culture Wars américaines. Chez nos voisins du Sud, la politisation de tout et de rien se poursuit. La lecture n’y échappe pas2. C’est ainsi qu’un album jeunesse québécois s’est vu banni dans un excès de zèle unanimement condamné par l’Assemblée nationale.

Peu importe les motifs qui la justifient, la censure provoque un désaveu réflexe quasi général. Et pour cause. Après tout, elle s’attaque à la valeur fondamentale que constitue la liberté. C’est pourquoi la croisade qui s’opère au cœur de la Land of the Free nous a tant stupéfiés.

Réprouvons fermement la censure.

Toutefois, nous aurions tort de balayer ces controverses sous le tapis sans amorcer une réflexion plus large quant à ce que nos jeunes lisent.

Bien que nous ne partagions pas le puritanisme américain à la base de cette nouvelle censure, une majorité de Québécois s’accordera sans doute avec les Américains pour veiller à la décence du contenu proposé aux enfants.

En outre, l’omniprésence du thème de la quête identitaire mérite notre attention. Quiconque arpente les rayons « nouveautés » des ailes jeunesse remarquera l’ubiquité notoire de l’identité sous toutes ses coutures. Certes, le sujet est important. Cela dit, il y aurait lieu de se demander si la fascination pour l’individu et le ton un brin moralisateur ne nuisent pas au développement de la curiosité et de l’émerveillement d’une génération de lecteurs. Force est d’admettre que la magie semble parfois troquée contre l’activisme.

De son côté, la littérature destinée aux adolescents met souvent l’accent sur des sujets lourds et malsains, comme s’il fallait absolument se coller sur la version sombre de leur réalité pour les intéresser.

Lecture et plaisir

Enfin, il serait opportun de contester le précepte selon lequel lire rime toujours avec plaisir ainsi que son corollaire : tous les livres se valent. En réalité, la lecture constitue le labeur primordial de l’élève, la pierre angulaire de l’apprentissage.

Dans Se distraire à en mourir, Neil Postman conclut d’ailleurs que la crainte d’Huxley qui redoutait que « plus personne n’aurait envie de lire » et que « les gens en viendraient à adorer les technologies qui détruisent leur capacité de penser et les dépossèdent de leur autonomie et de leur histoire » se révèle plus visionnaire que celle d’Orwell qui appréhendait la censure totalitaire.

Alors que la capacité d’attention, les aptitudes de lecture profonde, la maîtrise du français et la transmission culturelle connaissent un déclin alarmant, il importe d’agir.

Comme l’affirme Maxime Pedneaud-Jobin : « Au lieu de donner aux enfants et aux ados ce qui les attire, l’école doit leur faire aimer ce dont ils ont besoin, une culture propre à eux.3 »

Espérons que les enseignants garderont cet impératif en tête lorsqu’ils choisiront des livres grâce aux 300 $ promis. Espérons aussi que les parents offriront leur soutien essentiel au succès de cette mission commune.

Par ailleurs, nous devrions remettre au premier plan l’idée maintes fois évoquée d’une liste de prescriptions littéraires classiques. Et si des boucliers devaient se lever en vertu d’un cursus trop chargé, pourquoi ne pas imposer ces lectures lors du congé estival à l’instar d’autres nations ?

Permettez-moi, pour conclure, d’anticiper une critique facile en attirant l’attention sur « l’effet Golem » qui se résume ainsi : de faibles attentes conduisent insidieusement à des résultats médiocres.

Élevons nos attentes envers notre jeunesse. Les résultats suivront.

1. Lisez l’éditorial de Nathalie Collard : « L’absurde censure de la Santé publique » 2. Lisez l’éditorial d’Alexandre Sirois : « Censure made in USA » 3. Lisez la chronique de Maxime Pedneaud-Jobin : « Si un Japonais parle grec, cela fait-il de lui un Grec ? » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion