Il y a 32 ans aujourd’hui, je déposais mon mémoire de maîtrise en fiscalité sous le titre Le Régime fiscal face au problème de l’accès à la propriété. À cette époque, l’inflation tournait autour de 5 %, les taux d’intérêt atteignaient 10 % et l’accès à la propriété devenait de plus en plus difficile pour les jeunes de ma génération.

J’avais néanmoins réussi à acheter une propriété à Montréal. Celle-ci est présentement à vendre et j’ai vérifié si un jeune d’aujourd’hui obtiendrait le financement hypothécaire pour l’acquérir. Réponse ? Non. Et c’est loin d’être un cas isolé.

Avec un revenu médian de 44 000 $ en 2020 (Statistique Canada) – soit environ 50 000 $ en 2023 –, les Québécois de 25 à 34 ans peuvent se voir accorder un emprunt hypothécaire maximum de 210 000 $. On est loin de 415 000 $ et 723 000 $, le prix moyen des maisons unifamiliales au Québec et à Montréal respectivement (données de Centris, cumul des quatre derniers trimestres).

Même si les prix des maisons au Canada ont déjà chuté par rapport à leur sommet de 2022, cette baisse ne fait que compenser la montée en flèche des taux hypothécaires, de sorte que l’accessibilité nette ne s’est pas vraiment améliorée au cours de la dernière année. Certes, les prix risquent de diminuer davantage, mais les experts prédisent qu’ils resteront au-dessus du niveau prépandémique.

Dans son budget 2022, le gouvernement fédéral a introduit le compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété (CELIAPP), dont les premières cotisations débuteront à compter du 1er avril 2023. Les futurs acheteurs pourront donc profiter de quatre principaux allégements fiscaux :

1. CELIAPP – 2023 : le premier acheteur peut cotiser jusqu’à 8000 $ par année, pour un maximum de 40 000 $. Ces cotisations sont déductibles des impôts du contribuable, le rendement réalisé est non imposable et la somme retirée, lors de l’acquisition de la première propriété, ne le sera pas non plus.

2. Crédit d’impôt pour l’achat d’une première maison – 2009 : le premier acheteur peut toucher jusqu’à 2752,50 $ (fédéral et provincial) de remboursement d’impôt sur l’achat de sa première demeure.

3. Régime d’accession à la propriété (RAP) – 1992 : cela permet d’emprunter jusqu’à 35 000 $ du REER pour acheter ou construire une propriété.

4. Exemption pour résidence principale – 1972 : c’est une exemption d’impôt sur le gain réalisé lors de la disposition de la résidence principale.

Malheureusement, ces allégements fiscaux ne peuvent suffire à aider un jeune de la classe moyenne à acheter une maison.

Même s’il réussissait à amasser les 40 000 $ permis par le CELIAPP et qu’il RAPait les 35 000 $ permis de son REER, la banque continuerait de plafonner son prêt hypothécaire à 210 000 $. Je parlais de tout cela avec Nicolas Allaire, directeur du développement hypothécaire à la Banque Nationale. Il m’expliquait que, par les temps qui courent, un emprunteur qui aurait des paiements mensuels de 750 $ (ex : prêt automobile, prêt étudiant) doit avoir un revenu annuel de pratiquement 125 000 $ pour se faire accorder une hypothèque suffisante à l’achat d’une maison de 415 000 $ (avec une mise de fonds minimale).

Donc, toujours rien pour aider réellement les jeunes de la classe moyenne et, pire encore, ils doivent subventionner les maisons que parviennent à acheter ceux de leur génération qui gagnent des revenus plus élevés qu’eux.

Après maintenant 51 ans de règles fiscales construites à l’oreille au fil des décennies, le temps est venu de réformer et offrir un régime d’imposition efficace.

Et cette réflexion doit considérer non seulement les besoins d’accès à la propriété, mais également ceux concernant la retraite parce que, pour plusieurs Canadiens, les deux sont intimement liés et la maison représente souvent une source importante de financement de leur retraite.

Pour amorcer cette réforme, il faut d’abord tâcher de comprendre les jeunes. Par exemple, le gouvernement fédéral expliquait dans son budget 2022, au moment d’introduire le CELIAPP, que les jeunes veulent avoir la possibilité d’acheter une propriété, tout comme l’ont fait leurs parents et leurs grands-parents. Mais est-ce vraiment ce qu’ils souhaitent ? Les futurs propriétaires appartiennent à la génération Y, celle qui accorde de l’importance à la notion de flexibilité, privilégie les voyages et les loisirs et préfère peut-être la location à la propriété.

Parmi les objectifs de cette réforme, la simplification et la justice fiscale devraient avoir priorité.

Les gens ont du mal à démêler cette variété de régimes complexes et parfois contradictoires pour encourager l’épargne en vue de la retraite et l’accès à la propriété (REER, RAP, CELIAPP, CELI, etc.).

De plus, cette multitude de régimes entraîne un traitement fiscal préférentiel pour les mieux nantis qui peuvent profiter, en 2023, de déductions fiscales totalisant près de 38 780 $ pour les contributions au REER et au CELIAPP, et d’une cotisation de 6500 $ au CELI, alors que les jeunes qui gagnent un revenu annuel de 50 000 $ ne peuvent évidemment se permettre de tels investissements.

Une idée à considérer pourrait être d’offrir un régime unique combinant propriété et retraite. En gros, un régime d’épargne propriété et retraite (REPER) permettrait au contribuable de se constituer un fonds dont les sommes accumulées pourraient être utilisées soit à titre de rente au moment de la retraite, soit pour donner une mise de fonds à l’achat d’une propriété ou pour effectuer les paiements hypothécaires.

Quel que soit l’aboutissement de cette réforme, ayons le courage d’abandonner nos vieilles idées préconçues et nos régimes archaïques et offrons à nos jeunes des outils fiscaux efficaces et adaptés à leurs besoins.

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