La réouverture récente du débat sur les soins de fin de vie étale notre complexe adaptation au temps. Parfois parce que certains veulent abréger leur expérience de vie. Parfois parce que d’autres veulent laisser s’écouler le reste de la vie dans le meilleur confort possible.

Le temps s’exprime dans différentes teintes selon les valeurs, l’âge, la vision de l’humanité. Et on discute de notre intervention collective pour assurer ces choix. Mais à la base, malgré les orientations collectives, le rapport de chacun au temps, et à la fin de notre temps, varie.

« On ne visite jamais que l’aval

Pas l’amont du temps

Que ces impétueuses secondes qui dévalent

Passant à l’après, négligeant l’avant. »

En fol adolescent, j’ai écrit ces strophes en respectant la consigne du professeur qui nous demandait de concevoir le temps poétiquement. Mais l’inexpérimenté d’alors, qui n’avait pas encore côtoyé des gens aux prises avec la gestion de la fin de leur vie, a omis le devoir d’histoire et du souvenir. L’essentiel de toute discipline. Respecter le temps. Celui qui vient, oui, mais celui du passé et celui qui s’efface par trop rapidement à l’instant. Parce que les gens qui vivent avec le cancer et que je vois au quotidien ont une histoire personnelle qui s’inscrit dans le temps, avec des périodes d’espoir, d’attente, de constats et de décisions.

C’est malheureusement trop souvent l’impression du clinicien. Perdre du temps. Perdre leur temps. Celui que l’on voudrait préserver par un diagnostic en temps opportun, celui que l’on voudrait allonger en répudiant la maladie. Parce que l’on sait, par l’expérience, par la compréhension du passé, que chaque moment d’attente a un impact sur le droit de tenter de perpétuer son existence.

En oncologie, le temps est une constante de la discussion. Combien de temps, docteur ? Une question sans réponse exacte, qui se cadre par des statistiques, par la présentation des options de traitements qui ont une efficacité et une toxicité personnelles à chacun. Du temps que l’on veut aussi qualifier. Du temps de vie en quantité et en qualité.

Il y a toute la relativité aussi. La précocité d’un diagnostic, risquer de perdre la vie jeune plutôt qu’en état de défaillance liée à l’âge.

Mais en toute circonstance, savoir, avoir l’assurance, que le temps n’est pas réduit par l’action ou l’inaction humaine.

Par des listes d’attente qui réduisent la possibilité de survivre plus longtemps au cancer, par des délais dans l’obtention d’un diagnostic, par des limitations dans les informations géniques qui fourbissent en cibles potentielles, par le refus d’offrir des traitements novateurs pour des raisons financières ou d’organisation.

Les patients d’aujourd’hui ont, potentiellement, une probabilité plus grande d’être atteints d’un cancer, mais aussi de se voir offrir une survie plus longue, voire une cure. Si. Parce qu’il y a des si.

Si l’on s’oblige aux soins. Si l’on respecte les enseignements de la science et la nécessité de réduire les délais. Si l’on consent ressources et objectifs à décider de repousser les limites de l’expérience humaine. Si l’on outille adéquatement les soignants et reconnaît leur valeur. Les si se décuplent quand, comme au Québec, on nage dans l’incertitude des données, de ce que l’on fait bien, de ce l’on fait moins bien.

Le Québec est à l’heure de s’obliger. À titre collectif. À titre individuel. À mon avis, il faut convenir de prioriser la lutte contre le cancer, les soins aux cancéreux, peu importe le stade de la maladie, que l’objectif soit la survie ou la palliation.

En mesurant notre efficacité. En se dotant d’une structure forte, décisive, apolitique, responsable et imputable. La demande d’une Agence d’oncologie indépendante au Québec ne date pas d’hier. Elle s’inscrit dans le temps, dans ce qui n’a pas été fait, d’une leçon que l’on aurait dû retenir, d’un enseignement que l’on n’a pas testé, de ressources qui n’ont pas été consenties, d’objectifs qui ne sont pas assis sur des orientations consensuelles.

Le récent projet de loi 11 modifiant les conditions de l’aide médicale à mourir et l’offre de soins palliatifs impose d’ailleurs un débat sur la notion d’obligation de desserte de soins. Eu égard aux objectifs. Eu égard aux ressources. Alors que l’obligation de fournir des soins était généralement reconnue comme inscrite dans la Loi sur les services de santé et des services sociaux. À l’instar du projet de loi 11 sur les soins de fin de vie, doit-on garantir légalement l’accès à l’ensemble des soins en oncologie ? À l’image de la science, il importerait alors que l’on élabore un plan rationnel, conséquent. En se permettant d’être ambitieux et bénévolents.

François Archambault, dans Tu te souviendras de moi, fait dire à son personnage principal que la réalité déçoit les idéalistes. Je nous souhaite de prendre la route en souhaitant que la réalité de demain continue à nous décevoir, non pas en constat de notre inaptitude, inertie ou absence d’action, mais pour que l’on refuse que ce que l’on fait soit suffisant tant que le cancer sera une réalité. En 2023, il y a bien des idéalistes prêts à proposer les meilleures façons d’éloigner la déception causée par un diagnostic de cancer. Éthiquement, j’aimerais que l’on convienne ensemble de rester loin d’une loi qui oblige ce gouvernement et les subséquents. Moralité avant légalisme. Engagement devant contrainte. Un devoir mené par la mission.

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