Le Canada est sur le point de faire face à un changement important. Les forces du marché, les tendances sociétales et les innovations technologiques se conjuguent pour créer de nouvelles possibilités économiques dans les petites collectivités et les collectivités rurales. La récente pandémie de COVID-19, bien que dévastatrice, a également créé des occasions que nous devons saisir. En raison de la combinaison de ces facteurs, nous avons aujourd’hui une occasion historique de faire en sorte que l’avenir économique des personnes dépende moins de la région où elles habitent.

Dans un récent livre blanc produit par Bell Canada, nous discutons de ces occasions, la principale étant de stimuler la croissance économique et de concrétiser les possibilités dans les petites collectivités et les collectivités rurales partout au pays.

L’économie canadienne, à l’instar d’autres économies avancées dans le monde, est caractérisée par une forte concentration urbaine. Ainsi, au cours des cinq dernières années, près des deux tiers des nouveaux emplois nets créés au pays ont été concentrés à Montréal, à Toronto et à Vancouver. Si l’on ajoute Ottawa-Gatineau, Calgary et Edmonton, cette part passe à plus des trois quarts des emplois créés. La tendance est sensiblement la même pour d’autres indicateurs économiques clés, comme l’investissement, la création d’entreprises et les gains de revenus.

De nombreuses études ont été consacrées aux disparités en fonction du lieu, et ce problème ne nous est pas exclusif. En fait, ces disparités font partie d’un phénomène mondial où les avantages de l’économie du savoir ont eu tendance à se concentrer de manière disproportionnée dans un petit nombre de grandes villes. Richard Florida, éminent spécialiste des questions urbaines, a qualifié ce phénomène d’essor des villes superstars. L’économiste Enrico Moretti l’a appelé « la grande divergence ».

Cependant, au Canada, les disparités en fonction du lieu ont été particulièrement prononcées en raison de notre géographie économique unique. Il suffit de penser que la densité de population moyenne des pays du G7 est de plus de 200 personnes par kilomètre carré alors qu’au Canada, on n’en compte que quatre ! Nos grandes villes dominent notre économie, notre société et nos politiques.

Les villes ont représenté une force considérable pour notre pays, et elles continueront de le faire. C’est pour cette raison que de nombreuses personnes des quatre coins du monde y immigrent. Les villes sont le siège de la diversité et de l’innovation, et elles offrent de multiples possibilités. Leur prospérité et leur dynamisme constants continueront d’être un moteur essentiel du progrès de notre pays.

Toutefois, de trop nombreuses régions n’ont pas pu profiter de la croissance économique et des possibilités qu’offre le Canada. Ces disparités en fonction du lieu ne posent pas seulement un problème de cohésion sociale et de stabilité politique, mais elles peuvent aussi compromettre l’objectif canadien fondamental, à savoir l’inclusion et les possibilités économiques pour tous et toutes.

Une économie et une société au sein desquelles le code postal d’une personne ne détermine pas ses rêves et ses aspirations : cela devrait être notre objectif commun.

La bonne nouvelle, c’est qu’on observe des signes encourageants qui pointent dans cette direction. La première est la disponibilité croissante des technologies à large bande. D’importants investissements dans l’infrastructure à large bande – dont une somme record de 14 milliards de dollars consentie par Bell au cours des trois dernières années seulement – permettent aux particuliers et aux entreprises d’accéder aux marchés mondiaux, peu importe leur lieu de résidence ou de travail.

Nous ne saurions trop insister sur l’effet de nivellement de ces technologies à large bande : elles peuvent aider les Canadiens et les Canadiennes à avoir un meilleur accès aux services publics de base, comme les soins de santé et l’éducation, permettre aux entrepreneurs d’atteindre de nouveaux marchés et clients grâce au commerce numérique, et stimuler la productivité de secteurs clés comme l’exploitation minière, l’énergie, l’agriculture et l’industrie agroalimentaire.

L’interaction entre la technologie et le travail est la deuxième raison de se montrer optimiste. Rétrospectivement, la perturbation historique provoquée par la crise de la COVID-19 a jeté les bases de changements importants dans nos lieux et nos méthodes de travail. Les nouvelles technologies permettent en effet aux personnes et aux entreprises de quitter les grandes villes pour s’installer dans des collectivités plus petites. Des données récentes en provenance du Canada et des États-Unis abondent manifestement dans ce sens. Bien qu’il soit difficile d’en prévoir l’ampleur à ce stade, le travail à distance et le travail hybride semblent là pour rester, dans une certaine mesure.

L’interaction entre ces différents facteurs (y compris le prix des logements) peut stimuler la croissance économique et les occasions dans les petites collectivités et les collectivités rurales. Les décideurs canadiens doivent réfléchir de façon proactive à l’élaboration de politiques publiques qui permettent de tirer parti de cette occasion historique.

Une politique sur la large bande en est un exemple. La réduction des disparités en fonction du lieu nécessitera d’importants investissements dans l’infrastructure à large bande de ces collectivités. Les politiques gouvernementales devront créer les conditions nécessaires à ces investissements en permettant aux entreprises d’obtenir un taux de rendement raisonnable fondé sur les forces du marché. En fait, dans son budget de 2023, le gouvernement fédéral a reconnu que « sans un cadre stratégique approprié, le Canada pourrait faire face à des problèmes de sous-investissement dans des domaines critiques et de retard dans la conception de nouvelles technologies propres » (« La place du Canada dans une économie mondiale en évolution », p. 22).

Toutefois, ce souhait de consentir des investissements à grande échelle déployés en temps réel contraste grandement avec les choix politiques qui conduiront à réduire les mesures en soutien à l’investissement du secteur privé, plutôt qu’à les renforcer. Les choix politiques du gouvernement fédéral et du CRTC, comme ceux qui prescrivent davantage l’accès de gros aux réseaux câblés et à fibre optique, fausseront les décisions d’investissement en faveur des villes à forte densité qui garantissent un rendement du capital investi, compromettant l’objectif de stimuler la croissance et les possibilités de façon plus générale dans tout le pays.

Une telle vision d’une croissance et de possibilités économiques inclusives ne se concrétisera pas spontanément. Pour y parvenir, il faudra une politique publique cohérente, appliquée de manière conséquente à l’échelle fédérale, ainsi que des initiatives menées par les entreprises. Il appartient ultimement aux secteurs privé et public de collaborer pour saisir cette occasion qui ne se présente qu’une fois dans une vie. Nos collectivités et notre pays s’en porteront mieux.

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