Depuis quelques mois, la décarbonation du Québec est devenue un leitmotiv national qui semble rallier tout le Québec. Une position peu contestée qui cependant mérite d’être mise en perspective avec la dernière tempête de verglas qui vient de frapper le Québec et plus particulièrement la métropole.

Certes, devant l’impératif climatique, le Québec ne peut être en reste, et ce, malgré un bilan somme toute exemplaire d’un point de vue collectif. En même temps, il ne faudrait pas être dupe, car nous savons tous que le Québec représente un poids négligeable dans la lutte contre les changements climatiques avec ses 80 millions de tonnes produites annuellement versus une production mondiale d’environ 50 milliards de tonnes. En fait, nous comptons pour à peine deux minutes de production sur une journée de 24 heures, une goutte d’eau dans l’océan.

Proposer de réduire nos émissions de 40 millions de tonnes alors que la production mondiale augmentera de 7 milliards de tonnes durant la même période apparaît plutôt insignifiant. En fait, l’ouverture d’une ou deux centrales au charbon suffira à annihiler tous nos efforts.

Ainsi, à coup de plusieurs milliards de dollars par an, on s’apprête à décarboner le Québec pour des résultats, avouons-le, pratiquement nuls à l’échelle mondiale, alors que nos besoins en santé, en éducation et en logement sont énormes. Nos écoles croulent sous la moisissure, les hôpitaux débordent pendant que les aînés et les itinérants sont laissés à eux-mêmes. Et on pourrait facilement allonger la liste des maux qui accablent le Québec.

Transports

Le transport étant notre principale source d’émissions, des milliards y seront engloutis pour tout électrifier. Déjà, on abreuve les grands manufacturiers automobiles de 1 milliard de dollars par an pour que les plus nantis puissent rouler en voiture électrique (l’équivalent de 4000 logements sociaux). En trois ans à peine, une grande partie de la crise du logement pourrait peut-être être réglée au profit des plus démunis.

Pis encore, au cours des prochaines années, rien de moins que 5 milliards de dollars seront consacrés pour la construction de garages et l’achat de 1200 autobus électriques alors qu’on n’arrive plus à maintenir une qualité de service en matière de transport collectif.

Dans tous les cas, ces sommes ne changeront rien aux enjeux de mobilité, cela ne réduira pas la congestion routière, au contraire même, et n’améliorera pas la desserte en transport en commun. Dix milliards en cinq ans pour se bercer d’illusions.

Et comme si cela n’était pas assez, la mairesse de Montréal a décidé d’éliminer de sa ville toute consommation de gaz naturel d’ici moins de 20 ans. Une autre fausse bonne idée selon Hydro-Québec, qui ne voit pas comment elle pourrait suppléer à cette demande.

Un réseau électrique fragile

La pluie verglaçante qui vient de s’abattre sur le Québec et la grande région de Montréal s’avère une belle occasion pour questionner cette position.

Vouloir décarboner le Québec à tout prix, c’est se priver d’importantes sommes d’argent qui pourraient servir à meilleur escient, mais c’est surtout mettre en jeu notre propre sécurité énergétique. Imaginons en 2040 un Québec sans pétrole, sans gaz naturel, le rêve quoi. Malheureusement, on semble oublier que nous vivons dans une période de grande turbulence climatique, informatique, mais aussi politique et énergétique, comme en fait foi la guerre en Ukraine avec ses répercussions énergétiques sur toute l’Europe.

Faire supporter notre alimentation en énergie sur un réseau électrique d’une aussi grande fragilité, comme on a pu encore le constater la semaine dernière, relève, diront certains, de l’audace, tandis que d’autres y verront un manque évident de prudence. Quelques années de sécheresse, une autre crise du verglas, un attentat terroriste sur quelques pylônes stratégiques ou un virus informatique auraient des conséquences incroyables qu’on ose à peine concevoir.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

La pluie verglaçante du 5 avril dernier a mis en relief la fragilité du réseau électrique québécois, selon l’auteur.

Une simple rupture de réseau pourrait paralyser dangereusement des régions entières, même la province dans son ensemble. Au cours de la dernière année, le Québec a connu trois pannes de courant majeures et les experts en prévoient encore plus. Dans un Québec totalement décarboné cela se traduirait par des milliers d’immeubles et de foyers sans chauffage, d’individus sans transport individuel ou collectif, et sans accès aux services policiers, ambulanciers et d’incendie munis de véhicules électriques.

Une abondance de ressources

Contrairement aux pays européens, le Canada a accès à une abondance de ressources énergétiques, que ce soit le pétrole, le gaz, l’uranium et de l’électricité sous toutes ses formes. Dans un contexte de grande instabilité globale, il serait hasardeux de ne pas profiter de cet avantage. En se décarbonant, c’est plus ou moins à cette sécurité que nous renonçons, et ce, sans rien changer aux dérèglements climatiques, tout en négligeant la qualité de nos services sociaux.

Y a-t-il vraiment quelqu’un dans la salle pour penser qu’en réduisant notre consommation de 40 millions de tonnes par an, cela nous mettra à l’abri des bouleversements environnementaux ?

La réponse aux changements climatiques ne peut être que globale et devra nécessiter l’engagement des principaux pays producteurs de gaz à effet de serre et de ceux qui le deviendront, ce qui est loin d’être acquis.

Abdiquer n’est pas la solution. Mener nos combats sur d’autres fronts et d’autres continents semblerait plus judicieux et prometteur. À titre d’exemple, près de la moitié de la population africaine n’a pas accès à l’électricité, et d’ici 15 ans la population y augmentera de près d’un milliard d’habitants. Laisser le développement de ce continent entre les mains des producteurs de charbon serait catastrophique pour l’humanité tout entière. Y investir nos milliards serait sans doute plus bénéfique d’un point environnemental et moral.

Décarboner le Québec, c’est ni plus ni moins se donner bonne conscience, tout en s’assurant de maintenir notre niveau de vie en continuant d’exporter notre pollution dans les pays pauvres. Un peu comme donner un dollar à un itinérant en s’imaginant apporter notre contribution honorable au sort des sans-abri.

Il serait facile de voir dans cette décarbonation rien d’autre qu’une forme d’écoblanchiment étatique qui nous réconforte dans notre immobilisme. Face aux multiples enjeux de développement et avec tous les échecs que connaît la lutte contre les changements climatiques, il est clair que « la vérité est ailleurs ».

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