Quand j’entends des politiciens, de tendances diverses, disserter sur l’aide à la classe moyenne, sur tout ce qu’ils font, ont fait, ou feraient, pour cette classe, dite moyenne, le vieux sociologue que je suis, né en 1943, formé à l’Université de Montréal au début des années 1960, plonge dans ses modestes connaissances, tentant de bien saisir quel est l’objet de ces allusions à une classe sociale aux contours imprécis.

Legault a dit à plusieurs reprises qu’on peut aussi aider la classe moyenne. Mais de qui parlait-il ? Pourquoi le « aussi » ? Qui d’autre doit-on aider ? Cette courte mention de Legault m’a beaucoup intéressé, et un peu obsédé.

Quant à Justin Trudeau, il parle souvent des personnes appartenant à la classe moyenne et de toutes celles et de tous ceux qui aimeraient bien s’y joindre, à cette classe de rêve. Trudeau rappelle, de manière on ne peut plus régulière, que son gouvernement et lui travaillent très fort, depuis plusieurs lunes, pour aider la classe dite moyenne. Trudeau aime bien s’adresser à cette imprécise classe moyenne, symbole apparent de prospérité, de stabilité, de réussite, voire de bonheur.

Cette classe serait un peu, sans n’être que ça, celle du rêve. Elle serait probablement la classe du vieux rêve états-unien, de ce rêve qu’on a souvent appelé l’American Dream.

Né en 1943, j’ai, d’abord à l’école primaire, et parfois pendant mon cours classique, entendu parler, plus ou moins régulièrement, des classes sociales dont le destin, selon la doctrine sociale de l’Église catholique, doctrine de tendance corporatiste, serait celui de la collaboration entre les classes, de la bonne entente entre les riches, les « moyens » et les démunis, ces démunis (les prolos ?) qui doivent être aidés, de manière charitable, par les plus favorisés, par ceux à qui la vie a beaucoup apporté.

La lutte des classes

Parfois, au cours des 20 premières années de ma vie, jusqu’en 1963, il m’arrivait d’entendre, çà et là, parler d’un certain Karl Marx qui prônait, disait-on, souvent avec inquiétude, la lutte des classes, qui rêvait d’une éventuelle révolution prolétarienne. C’était, bien évidemment, très inquiétant.

Une fois arrivé à l’Université de Montréal, en 1963, j’ai entendu parler, de manière variable selon les professeurs, de strates sociales, de stratification sociale et parfois de la lutte impitoyable, annoncée depuis longtemps, entre la bourgeoisie, classe exploitante, et le prolétariat qui devait se libérer de ses chaînes.

Je pourrais en dire beaucoup sur cette formidable période universitaire. On y découvrait, de manière stimulante, une pluralité de regards, de points de vue, ce qui était stimulant, après les huit années du cours dit classique. Des profs nous présentaient la sociologie américaine, dite fonctionnaliste ; d’autres profs nous parlaient des classes sociales, de la lutte des classes ; d’autres, comme Marcel Rioux, tentaient, de manière très théorique, mais intéressante, de découvrir des joints entre le fonctionnalisme et le marxisme, de proposer une sociologie dite critique.

Tout cela pour dire que pendant mes années universitaires, on nous parlait de strates sociales ou de classes sociales, selon les choix méthodologiques, voire philosophiques. Soit il y avait la upper, la middle et la lower, soit il y avait la bourgeoisie, avec ses degrés, et le prolétariat, multiformes.

Quand j’ai enseigné la sociologie entre 1966 et 2003, les années 1970 ont été particulières, puisqu’il y avait, à l’époque, de nombreux courants dits marxistes, basés soit sur le maoïsme, soit sur le trotskisme, si je simplifie le tout. Il était difficile de parler des classes sociales. Une minorité très agissante intervenait constamment pour rappeler l’essentiel : la lutte des classes et l’inévitable révolution prolétarienne.

Ces marxistes s’engueulaient souvent entre eux et s’en prenaient assez souvent au professeur pour lui rappeler qu’il était un petit bourgeois au service du monstrueux système capitaliste.

Je sais qu’à l’UQAM, donner un cours de sociologie sur les classes sociales, c’était un défi, un défi qu’on m’a proposé, que j’ai refusé, tenant à ma santé mentale.

Il y aurait tellement à dire, encore et encore. Cette question me passionne, même si je serai bientôt un octogénaire.

Aujourd’hui, on parle moins des classes sociales et de la lutte qu’on voulait finale. On s’intéresse davantage aux minorités, trop longtemps oubliées, absentes du collimateur des préoccupations, pendant longtemps.

Il y aurait tellement à dire !

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