Cette semaine, Isabelle Hachey relatait un autre épisode de la saga du harcèlement en ligne, un phénomène répandu et difficile à endiguer. La semaine dernière, ils étaient près de 400 à dénoncer, dans les pages du Devoir, l’acrimonie des réseaux sociaux nourrie par les faiseurs d’idées, par les curés du gros bon sens et par les diverses manufactures d’opinions.

Je suis de tout cœur avec eux, et avec les milliers d’autres qui subissent cette haine. J’admire tous ceux et celles qui s’expriment régulièrement et publiquement, qui émettent des avis qui divergent de la doxa ambiante. Ce qu’ils vivent est difficile et la solution n’est pas évidente. À mon sens, il faut réhabiliter certaines valeurs qui fondent nos démocraties libérales.

D’abord, prenons une pause et reconnaissons la force de ces personnes qui font partager leurs opinions, leurs valeurs, leurs connaissances et leurs expertises. Quand elles le font, elles se présentent vulnérables.

Déjà, en temps normal, il faut une dose de courage pour défendre des idées et débattre dans l’arène publique. Par les temps qui courent, ce courage doit être décuplé.

Leur contribution est inestimable. Il est important de maintenir une société ouverte et pluraliste où chacun se sent libre et capable de participer aux débats publics sans conséquence démesurée. Par leurs contributions, ils font vivre cet idéal. Cette liberté, ce pluralisme, est le ciment de nos démocraties. Il est important de le rappeler régulièrement.

Mon cœur est donc avec les signataires et tous les citoyens qui animent notre vie politique. Ensemble, il me semble, la peur nous fait moins mal. Sans vous, notre société ne serait plus que le reflet d’un espace démocratique, nous ne jouirions plus que des lambeaux de notre idéal libéral.

Certainement, ces comportements délétères dans l’espace médiatique et sur les réseaux sociaux ne sont pas l’apanage des droites ou des gauches. La bêtise semble être bien répartie. Force est de constater toutefois qu’un certain populisme tend à nourrir la bête de l’indignation dont les clics engraissent les entreprises médiatiques. C’est un modèle d’affaire qui marche.

La solidarité sociale est un bouclier qui permet de magnifier le courage de ceux et celles qui aimeraient prendre la parole publiquement, et ainsi nourrir nos idéaux d’une société pluraliste, libre et démocratique. Mais ce ne sera jamais suffisant. Tant qu’un marché de consommateurs de scandales et d’opinions outrancières existe, quelqu’un lèvera la main pour occuper le siège du prêcheur.

La question fondamentale est la suivante : pouvons-nous vivre de manière démocratique sans fournir des efforts constants pour incarner les valeurs de notre régime politique ?

La démocratie peut-elle subsister sans un peuple qui partage les idéaux d’égalité et de liberté ? À mon sens, il faut redoubler d’efforts et réhabiliter certaines valeurs qui sous-tendent notre capacité de débattre et de décider collectivement de notre avenir.

Des valeurs dépassées ?

Il faut valoriser l’humilité. L’humilité c’est la possibilité que nous n’ayons pas raison. Dans le débat public, c’est la condition de possibilité d’un dialogue constructif où chacun écoute et évalue les idées à l’aune des leurs. L’humilité, c’est aussi le questionnement constant de notre importance relative dans la société et cela participe de l’égalité démocratique. L’humilité sous-tend notre capacité à réviser nos croyances.

Il faut remettre de l’avant le respect. Que nous soyons sur les ondes d’une radio très écoutée, à l’épicerie, sur un réseau social ou dans une salle de classe, nous devrions traiter l’autre avec un respect égal à celui que l’on attend de tous. Lui aussi, comme nous, est un être sensible et rationnel doté d’une vision du monde et d’une volonté propre. À ce titre, il est digne de respect. Par respect, nous nous soucions de nos relations sociales et nous réfléchissons sur ce que cela signifie de vivre ensemble, et des limites que l’on devrait s’imposer. Le respect est le frère de l’égalité.

La générosité devrait également avoir une plus grande place dans notre société. Je parle ici de la générosité que l’on accorde aux autres : celle de les écouter, d’essayer de les comprendre avec candeur et authenticité et de leur donner le bénéfice du doute. On ne peut vivre sereinement dans un monde que l’on croit peuplé de malfaiteurs et de conspirateurs. La générosité permet le vivre ensemble.

Évidemment, je ne peux m’empêcher d’avoir l’impression de mettre de l’avant des idéaux dépassés. Mais peut-être que de commencer à parler de ces valeurs, et d’autres, de les expliquer et de les vivre, de montrer des femmes et des hommes qui les incarnent, de les valoriser et de les reconnaître, est un premier pas vers une société plus décente. Et cette décence et ces valeurs sont le socle d’une société libre et démocratique.

1. Lisez la chronique « Seb Rioux contre son troll », d’Isabelle Hachey Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion