L’idée de simplifier l’accord du participe passé afin de remédier aux difficultés en français des élèves québécois n’emballe pas Paul Roux et Cécile Dostie.

Apparemment découragée par un taux d’échec alarmant, l’Association des professeur.e.s de français (AQPF) a proposé au ministre de l’Éducation une simplification de l’accord du participe passé.

Je ne sais pas comment a réagi Bernard Drainville à cette fausse bonne suggestion. Mais depuis plusieurs années déjà, son ministère cherche à cacher les résultats désastreux en français en encourageant une correction très laxiste. Au point de pousser parfois le bouchon un peu loin. J’avais été beaucoup surpris d’apprendre, l’an dernier, que certains correcteurs acceptaient « pain » pour désigner l’arbre qu’on appelle « pin ». On me dira qu’il n’y a, après tout, qu’un petit « a » de différence. Mais tout de même ; l’arbre est pas mal plus difficile à digérer. J’avais alors suggéré qu’on accepte également des « comptes de fées », alléguant qu’il serait ainsi plus facile d’atteindre le compte, c’est-à-dire la note de passage.

Malgré ces corrections, avouons-le très créatives, on a continué à échouer dans nos écoles délabrées. « On a mis 20 ans d’effort pour améliorer les choses et ça stagne », a reconnu Bernard Tremblay, le PDG de la Fédération des cégeps. Au secondaire, la situation n’est pas meilleure. D’où sans doute cette idée de simplifier l’accord du participe passé.

On raconte que Catherine de Médicis a apporté à la cour de France, outre ses cuisiniers, l’accord du participe passé. Si les premiers ont beaucoup contribué à enrichir la gastronomie française, le second a pourri la vie de bien des écoliers, d’autant que les Français ont complexifié la règle. C’est à y perdre son latin ou plutôt, son français. Faut-il pour autant en simplifier l’accord ?

Il y a derrière cette question, et la réponse que l’AQPF y apporte, un ou deux mythes qui me chicotent. Le premier, c’est que si les jeunes Québécois réussissent si mal en français, c’est parce que notre langue est trop difficile.

Cette idée n’est d’ailleurs pas nouvelle. Il y a 40 ans déjà, un de mes beaux-fils était revenu de son école en disant que le français, selon son prof, était plus difficile que le mandarin. Comme discours de motivation pour faire aimer notre langue, il y a mieux !

En fait, il n’y a pas de langue facile, sauf peut-être l’espéranto, une langue créée de toutes pièces et parlée nulle part. Qu’on me permette de citer Yvon Pantalacci, auteur du site La francophonie en partage : « Qu’en est-il du japonais, ses trois formes verbales et ses trois systèmes d’écriture, du chinois, ses 20 000 caractères et ses grandes variétés de tons, neuf pour le cantonnais et quatre pour le mandarin ou, pour ne s’en tenir qu’aux langues européennes, de l’espagnol, ses verbes irréguliers et ses « r » doublés, particulièrement difficiles si ce n’est impossible à reproduire et de l’allemand, ses mots composés, ses déclinaisons ou encore ses trois genres ? » Il aurait pu ajouter l’italien, dont l’accord en genre et en nombre est si compliqué qu’il fait paraître le français presque simple.

Comme je l’ai écrit à plusieurs reprises, notre langue est difficile, mais elle n’est pas impossible à apprendre. À preuve : des dizaines de millions de personnes arrivent à la maîtriser, et souvent fort bien, depuis des générations, voire des siècles, qui plus est, un peu partout dans le monde.

L’anglais, une langue complexe

Le deuxième mythe est le corollaire du premier : l’anglais est facile. C’est faux, totalement faux ! Ce n’est pas moi qui le dis, mais le grand linguiste Claude Hagège, qui connaît une centaine de langues et en parle une trentaine. « L’anglais, affirme-t-il, est nettement plus difficile que le français. » Pourtant, ajoute-t-il, jamais cette langue n’a fait l’objet d’une réforme.

Le site Psychologue.net présente l’anglais comme la langue irrégulière par excellence. À tel point que le taux de dyslexie est plus élevé chez les anglophones que chez les locuteurs d’autres langues européennes. Pas étonnant quand on apprend qu’il y a 1120 manières d’écrire les sons de l’anglais. Par comparaison, l’italien n’a besoin que de 33 graphèmes pour rendre ses 25 sons.

Bref, le supposé déclin du français n’a rien à voir avec sa prétendue difficulté. Comme la popularité de l’anglais n’a rien à voir avec son apparente facilité.

Un dernier élément me turlupine, et à ma connaissance personne n’en a parlé. La réforme proposée par l’Association est en pratique impossible à réaliser. Pourquoi ? Parce que le français ne nous appartient pas.

C’est un trésor que nous partageons avec 321 millions de francophones, selon l’Observatoire de la langue française. Ceux de l’Europe francophone, bien sûr. Mais aussi ceux de l’Afrique francophone. Le Congo, à lui seul, compte plus de 50 millions de locuteurs.

Tous ces gens vont-ils réformer l’accord du participe passé parce que les professeurs d’une province qui compte quelque 7 millions de francophones veulent le faire ? La réponse est non. On me dira qu’il y a aussi des réformateurs en France, en Suisse et en Belgique. C’est exact. Il y en a peut-être même à Brazzaville, à Dakar ou à Kinshasa. Mais ils ne sont pas majoritaires. Tant s’en faut.

Je crains que cette réformette, si elle allait de l’avant, n’entraîne une immense perte de temps, tout comme l’a fait la réforme de l’orthographe, qui, 40 ans après sa promulgation, ne s’est toujours pas imposée ni dans les grands journaux ni dans les grandes maisons d’édition.

Réforme ou pas, tant qu’on ne consacrera pas au français le temps nécessaire à son apprentissage, il restera toujours mal maîtrisé. Et il faudrait cesser de diaboliser notre belle langue. Ce n’est pas parce que des règles ont été créées il y a quelques siècles qu’elles ne tiennent plus.

Le passé participe

Ma mère avait terminé sa 7e année, pas une de plus. C’était dans les années 30. Je n’ai jamais su la cause précise de ses difficultés scolaires. Cela restait nébuleux quand elle nous en parlait. Aujourd’hui, on aurait certainement accolé quelques lettres à son trouble. N’empêche, elle écrivait sans fautes.

Le récent débat sur la simplification de l’accord du participe passé m’a rappelé comment elle tenait à ce que nous nous appliquions quand venait le temps d’écrire. Combien de fois elle nous a répété : « Les si n’aiment pas les rais ou tout ce qui mérite d’être fait mérite d’être bien fait. »

Ce jours-ci, des voix s’élèvent, à gauche et à droite : « Les règles sont compliquées, c’est mélangeant ou ça date d’il y a 400 ans. Ça ne fait pas de sens ! »

Ce serait même déconnecté de la réalité des jeunes d’aujourd’hui. Enfin une bonne nouvelle, je pense aussi que les jeunes sont un peu trop connectés.

Mais voilà qu’en Côte d’Ivoire, on a plutôt choisi de dépoussiérer la dictée : « Nos enfants sont intelligents, il faut leur apprendre qu’il est important de savoir écrire et c’est un exercice qui aujourd’hui donne ses fruits. C’est une activité phare pour madame la ministre de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation [Mariatou Koné] dont la vision est de faire en sorte que la dictée soit vue comme un instrument d’apprentissage efficace », a noté l’inspecteur général responsable de l’administration et de la vie scolaire, Faustin Koffi.

L’amour du mot juste et la fierté du travail accompli n’ont pas de frontières. La petite Douflé Nizié Anne Penuel, 10 ans, finaliste pour la Côte d’Ivoire : « Parfois j’ai eu quelques difficultés, mais aujourd’hui j’ai relevé mon niveau et je suis contente. Je me sens heureuse et je me sens en joie de représenter mon pays.⁠1 »

Nivellement par le bas

Je ne suis pas une nostalgique de la dictée ni d’autres méthodes d’apprentissage, je m’intéresse davantage aux résultats qu’à la manière de les obtenir. Et s’il nous faut des approches plus innovantes, qu’à cela ne tienne, tant qu’on ne fait pas les choses uniquement pour les rendre plus faciles. Je me méfie davantage du nivellement par le bas que des efforts à consentir pour maîtriser les subtilités de notre langue commune. Je serais vraiment déçue si nos jeunes se trouvaient les seuls de la francophonie pour qui l’accord des participes passés représente un trop grand défi.

Heureusement, le passé participe encore du présent. Le 21 mai prochain, 80 jeunes des cinquième et sixième années du primaire se rencontreront à Montréal pour célébrer la langue française, le temps d’une dictée. Bénin, Maroc, Burundi, Cameroun, République démocratique du Congo, Sénégal, Côte d’Ivoire, Guinée, Haïti, Rwanda, Mali, Togo, Burkina Faso, États-Unis et Canada participeront à la Grande finale internationale de La Dictée P. G. L. sur le thème « Cultivons un monde juste et égalitaire ».

J’y serai aussi, avec l’une de mes petites-filles qui compte parmi les finalistes. Maman nous a quittés il y a longtemps, mais je me réjouirai pour deux en pensant à la joie qu’elle aurait eue de la connaître.

1. Regardez le témoignage de Douflé Nizié Anne Penuel Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion