Pendant près de 12 ans, j’ai œuvré comme avocat en éducation. Durant cette période, la proposition d’un ordre professionnel pour les personnes enseignantes a ressurgi constamment. Ce phénomène est propre au Québec où, contrairement au reste du monde occidental, les ordres professionnels pullulent (46 ordres existent actuellement).

Encore une fois, des histoires odieuses marquent l’actualité et nombre de commentateurs et de chroniqueurs en appellent à la création d’un ordre professionnel en éducation, alors même que l’on peut se questionner sur l’existence de tels archaïsmes hérités des corporations moyenâgeuses.

De fait, les émissions comme JE et La facture mettent périodiquement la lumière sur le fait que les ordres professionnels qui existent, le Barreau du Québec ou le Collège des médecins par exemple, protègent souvent plus leurs membres que le public. Prenons comme illustration ces décennies de blocage exercé par le Collège des médecins contre l’arrivée des infirmières praticiennes spécialisées.

En fait, un ordre professionnel repose sur l’idée que seuls les membres d’une profession peuvent déterminer les normes à suivre pour protéger le public, car l’expertise dans le domaine serait nécessaire pour comprendre les enjeux. D’emblée, nous pouvons évidemment constater que cette prémisse ne cadre pas avec le problème d’incompétence et de violence rapporté médiatiquement : a-t-on besoin d’être enseignant pour savoir que les voies de fait et violence à caractère sexuel sont criminelles ? A-t-on besoin d’être enseignant pour savoir que personne n’apprend par la violence et la punition ?

Dans ce cas, une question demeure légitime : pourquoi a-t-on laissé faire ces personnes enseignantes ? La réponse basée sur un mythe qu’offrent aujourd’hui plusieurs chroniques : les syndicats. Ceux-ci seraient si puissants qu’il est « impossible » de congédier une personne syndiquée.

Ceci est un mythe pour plusieurs raisons. Factuellement, aucune convention collective n’empêche de congédier quelqu’un. Au contraire, même les salariés syndiqués des centrales syndicales peuvent être congédiés. En effet, toutes les conventions collectives comprennent des dispositions qui donnent en quelques lignes la recette pour arriver à se départir d’une personne incompétente ou commettant des fautes graves comme celles décrites.

En général, lors d’un comportement violent ou d’une faute évidente et grave, le congédiement peut être immédiat. En matière de compétence, les seuls gestes préalables demandés des directions sont de communiquer clairement leurs attentes à la personne visée, soit d’effectuer une rétroaction, et de donner du temps et des ressources raisonnables pour permettre à la personne d’atteindre les attentes. Ceci fonctionne souvent pour le bénéfice du salarié et de l’employeur. Est-ce une procédure lourde et complexe de donner « la chance au coureur » ?

En fait, sauf rares exceptions, un syndicat ne peut pas empêcher l’application d’une décision patronale. Il ne peut que réagir après le fait et contester la décision par la voie d’un grief qui sera, des mois ou des années plus tard, entendu par un arbitre. Pendant ce temps, la personne demeure congédiée et, suivant les statistiques du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, le restera après la décision arbitrale dans 60 % des cas. Ce congédiement sera remplacé par une longue suspension se comptant en mois ou en années dans un 20 % supplémentaire.

Déresponsabilisation

Concrètement, lorsque mes ex-collègues et moi devions intervenir dans des dossiers d’incompétence, nous devions toujours amener les directions à comprendre que leur problème était plus large qu’il le croyait. De fait, si un salarié syndiqué est incompétent, c’est qu’une personne aux ressources humaines l’est aussi, car elle a été incapable d’identifier le problème et de suivre la simple procédure écrite noir sur blanc dans les conventions collectives, lois ou décisions arbitrales qu’elle a étudiées à l’université.

D’ailleurs, n’oublions pas que le syndicat est formé et dirigé par les personnes enseignantes. Ce syndicat représente souvent les premières victimes d’un membre incompétent : ses collègues de travail.

Or, quels sont les outils d’un ordre professionnel ? Exactement les mêmes que ceux des directions : il peut punir lors de fautes volontaires, il peut imposer des critères pour accéder à la profession (ce que fait déjà la loi sur l’enseignement) et obliger la formation continue (ce que font déjà les directions lors des journées pédagogiques). Au surplus, l’intervention disciplinaire des ordres professionnels est potentiellement moins efficace, car le professionnel garde généralement le droit de continuer sa pratique pendant les procédures. Finalement, les ordres professionnels participent aussi à la déresponsabilisation de leurs membres par le truchement de régimes d’assurance responsabilité qui les protègent des conséquences financières de leurs fautes.

Pour conclure, nous devons nous demander quelles conséquences négatives risquent de découler de la création d’un ordre. La plus évidente est que ceci rendra la profession moins attrayante en imposant, notamment, une baisse de salaire par le biais de cotisations obligatoires : les cocktails des conseils d’administration et congrès tenus en croisière me coûtaient des milliers de dollars annuellement lorsque j’étais membre du Barreau. En somme, en ces temps de pénurie de main-d’œuvre, un tel impact négatif certain semble peser plus fort que les gains hypothétiques qui pourraient découler de la création d’un tel organisme.

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