En réponse à la chronique de Patrick Lagacé, « Interdiction de sensibiliser cyclistes et piétons⁠1 », publiée le 2 mai

Les piétons n’ont pas tous un comportement irréprochable, tout comme les autres usagers de la route par ailleurs. C’est un fait, et nous en sommes bien conscients, contrairement à ce qu’a affirmé Patrick Lagacé dans sa chronique du 2 mai.

Toutefois, tous les usagers ne sont pas égaux sur la route. Un piéton qui a un comportement imprudent met en danger sa propre sécurité, alors qu’un conducteur distrait ou imprudent se met non seulement en danger, mais pose un risque pour les autres aussi. C’est pourquoi le Québec a introduit le principe de prudence⁠2 dans le Code de la sécurité routière en 2018.

C’est aussi pourquoi nous avons été déçus de voir, cinq ans plus tard, une campagne sur le partage de la route qui ne prend pas en compte l’échelle des responsabilités mise de l’avant dans ce principe.

Pire, elle omet une part importante des usagers de la route : sur les 12 conseils présentés, 8 s’adressent aux piétons, 4 s’adressent aux cyclistes et zéro s’adresse aux conducteurs. Bref, sans être contre la sensibilisation des piétons, nous trouvons simplement qu’une telle campagne ne fait que perpétuer l’idée que l’usager le plus vulnérable est responsable de son sort.

Les limites de la sensibilisation

Depuis 10 ans, ce sont plus de 650 personnes qui ont perdu la vie et plus de 27 000 autres qui ont été blessées en se déplaçant à pied au Québec. Ce n’est pas seulement un enjeu montréalais : près de 75 % des piétons blessés mortellement ont été blessés à l’extérieur de la région de Montréal. Parmi toutes les personnes mortes sur nos routes au Québec, près de la moitié étaient âgées de 65 ans et plus. Les piétons assument un risque démesuré sur nos routes, alors qu’un usager décédé sur cinq est un piéton⁠3 !

Partant d’une bonne intention, l’opération nationale concertée sur le partage de la route présente alors les conseils aux piétons comme une « solution » à cette situation alarmante.

Mais est-ce que sensibiliser les piétons parviendra réellement à améliorer le bilan routier chez les personnes qui se déplacent à pied au Québec ? Permettez-nous d’en douter.

En effet, cela fait des dizaines et des dizaines d’années que des campagnes de sensibilisation s’adressent aux piétons. Or, le bilan routier chez les piétons n’a pas beaucoup bougé, voire il s’est détérioré.

On sait que deux tendances lourdes influencent négativement le bilan et peuvent expliquer cette détérioration. D’abord, on note l’augmentation de la taille, de la masse et du nombre de véhicules sur nos routes (angles morts plus grands, blessures plus graves et piétons exposés à davantage de risques). Puis, tout porte à croire que la surreprésentation des piétons aînés (en raison du fait qu’en avançant en âge les réflexes sont moins rapides, la vitesse de marche est plus lente et les conséquences des blessures sont plus importantes) participera à la détérioration du bilan piéton en raison du vieillissement de la population au Québec.

Les solutions probantes sont connues

Face à ces tendances inquiétantes, il importe de mettre en œuvre des solutions probantes rapidement. C’est le scientifique en chef du Québec qui le dit : les solutions pour prévenir les décès piétons sont connues⁠4.

Depuis quelque temps, la société civile est unie pour demander le virage vers la mise en œuvre de l’approche vision zéro collision grave et mortelle, une approche qui fait aussi de plus en plus consensus au Québec parmi les personnes expertes en sécurité routière, les municipalités et les institutions œuvrant en sécurité routière.

L’approche vision zéro est simple : elle consiste à agir à la source afin d’empêcher physiquement qu’une personne soit soumise à un choc qui risque de la tuer, qu’elle se déplace à pied, à vélo ou en voiture.

Ainsi, les actions à suivre viseront non seulement l’adoption de comportements prudents, par la promotion d’une cohabitation davantage bienveillante et dans la lignée du principe de prudence, mais aussi une conception routière qui induira des comportements plus sécuritaires chez les usagers. Nos efforts devront aussi être consacrés à maîtriser les vitesses véhiculaires, à aménager des rues et routes indulgentes permettant d’éviter un maximum d’erreurs humaines et de minimiser les conséquences des collisions inévitables, ainsi qu’à concevoir des véhicules plus sûrs pour les passagers comme pour les personnes se trouvant à l’extérieur.

Face aux limites de la sensibilisation et en connaissant les tendances de fond qui influencent négativement le bilan piéton au Québec, il est impératif de mettre en œuvre, collectivement, les solutions probantes. Et au plus vite.

1. Lisez la chronique : « Interdiction de sensibiliser cyclistes et piétons »

2. Article 3.1 du Code de la sécurité routière : « Tout usager de la route est tenu, surtout à l’égard de celui qui est plus vulnérable que lui, d’agir avec prudence et respect lorsqu’il circule sur un chemin public. Le conducteur d’un véhicule routier est tenu de faire preuve d’une prudence accrue à l’égard des usagers plus vulnérables, notamment les personnes à mobilité réduite, les piétons et les cyclistes. L’usager vulnérable est, pour sa part, tenu d’adopter des comportements favorisant sa sécurité. »

3. La part des piétons parmi tous les décès de la route a augmenté d’une moyenne de 13,2 en 2006-2008 à 19,3 en 2016-2018, jusqu’à atteindre une proportion jamais vue : 21,4 % en 2019. Le bilan routier de 2019 est le dernier complet disponible qui n’a pas été affecté par les mesures pandémiques.

4. Lisez le texte du scientifique en chef Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion