Il y a 10 ans, j’ai commencé mes études universitaires pour devenir psychologue dans le système public avec dans mon baluchon mes idéaux de justice et d’équité sociale. J’étais loin de me douter que je serais moi-même victime d’injustice en poursuivant ce choix de carrière.

Je travaille dans un Québec où le premier ministre croit encore que devenir psychologue prend seulement un baccalauréat⁠1, alors que nous devons décrocher un doctorat pour obtenir notre titre. La plupart des gens pensent que j’ai un salaire de médecin, comme une psychiatre. Si c’était le cas, mon salaire serait 300 % ⁠2 plus élevé que celui que j’ai présentement.

À 30 ans, comme la plupart des jeunes de ma génération, j’ai des dettes, pas de maison, pas d’enfant et un diplôme plein de fausses promesses. Quand j’ose lever le ton pour dire que ça n’a pas de bon sens, on me réplique que je devrais plutôt être contente d’exercer le métier de mes rêves. Psychologue au public, c’est une profession exercée par une très forte majorité de femmes.

Une psychologue, c’est une femme qui est censée être à l’écoute et bienveillante, ça ne se fâche pas, ça ne fait pas la grève pour priver ses patients de bons soins. Ça se satisfait de peu. Eh bien ! plus pour longtemps pour moi. Trop, c’est trop.

Depuis quelques années, dans nos centres de services scolaires, des collègues ont déserté pour aller travailler au privé. Je ne peux pas leur en vouloir, car être travailleuse autonome dans un cabinet vient avec son lot d’avantages. Le salaire des psychologues du privé est plus de 44 %⁠3 supérieur à celui des psychologues du public, et ce, même en incluant tous les avantages sociaux : la pension de retraite, les assurances, les congés, etc. Quand je nomme cette statistique à mes collègues qui travaillent dans le réseau, on ne veut pas y croire tellement les chiffres sont ahurissants. On me dit qu’on a dû se tromper dans les calculs, que c’est inimaginable, alors que c’est la triste réalité. Outre les conditions salariales et les avantages sociaux, mentionnons au passage d’autres à-côtés substantiels sur le plan de la qualité de vie, comme le fait d’être son propre patron et d’avoir la flexibilité d’horaire permettant une meilleure conciliation travail-famille.

Encourager la désertion

Que nos collègues partent travailler au privé, c’est une chose, mais pour ajouter l’insulte à l’injure, nos employeurs embauchent en sous-traitance ces mêmes personnes au tarif du privé pour faire la même job qu’elles faisaient avant leur départ. Alors pendant que je fais mon évaluation dans une école, mon ex-collègue est payée 44 % de plus pour réaliser le même travail dans son bureau privé, car elle a eu la bonne idée de démissionner du système public. L’excuse bidon qu’on nous sert : vous n’êtes plus assez nombreuses dans le réseau pour répondre aux besoins croissants des élèves, il faut aller chercher l’aide de vos collègues au privé… Voilà comment le financement public nourrit la désertion de ses travailleurs et la privatisation des systèmes de l’éducation et de la santé…

Les listes d’attente en psychologie dans les centres de services scolaires et les établissements de santé ne cessent de s’allonger avec les années, alors que nos rangs s’amenuisent.

Au cours des 10 dernières années, 490 psychologues ont quitté le réseau de la santé et de l’éducation alors que 806 ont regarni les cabinets privés⁠4.

On ne manque pas de psychologues au Québec. De tout le Canada, c’est notre province qui compte le plus grand nombre de psychologues par habitant. Le problème, c’est qu’il y a deux fois plus de psychologues qui travaillent en cabinet privé que de psychologues qui travaillent au public⁠5. La pénurie de psychologues, c’est dans le système public qu’on la retrouve.

Dans le passé, un psychologue scolaire pouvait exercer sa profession dans une école et prendre le temps d’intervenir auprès des élèves et de soutenir les intervenants qui gravitent autour d’eux, de connaître les ressources de son territoire et d’entretenir des liens précieux avec les partenaires externes, que ce soit au CISSS ou au DPJ. On avait alors le temps de prendre soin de l’enseignante à bout de nerfs, d’apprendre à l’élève comment l’anxiété affecte ses capacités d’apprentissage, d’évaluer le risque suicidaire d’un adolescent en détresse, d’accompagner la TES qui doit faire un signalement au DPJ, de guider la directrice dans la formation de groupes-classes équilibrés pour la rentrée scolaire, d’outiller les parents démunis face au diagnostic de trouble du spectre de l’autisme de leur enfant et plus encore.

Maintenant, quand j’appelle au CISSS ou au DPJ, on me demande si je ne songerais pas à les rejoindre, car le psychologue est devenu une espèce en voie d’extinction qu’on s’arrache dans le système public. Aujourd’hui, les psychologues scolaires font des évaluations psychologiques à la chaîne pour obtenir des codes de difficulté associés à des budgets et rêvent de retrouver un emploi qui reconnaît l’éventail de leurs compétences. Nous ne pouvons plus aider les élèves comme nous le devrions, nous ne sommes plus que des machines à évaluer à la merci d’un système brisé et malade. Le nombre d’écoles à notre charge fait en sorte que nous sommes réduits à n’être que des visiteurs de passage avec qui les intervenants scolaires et les élèves ne peuvent développer un véritable lien de confiance.

Du 1er au 7 mai, c’était la semaine nationale de la santé mentale. Le vrai changement, c’est de reconnaître les qualifications et l’expertise nécessaires pour exercer le métier de psychologue. C’est nous donner les moyens de prendre soin de nos citoyens de demain.

1. Écoutez François Legault au micro de Paul Arcand 2, 3, 4. Lisez le mémoire de la CPRPQ : « Psychologues du réseau public : enjeux et solutions pour une meilleure accessibilité » 5. Lisez le mémoire de la CPRPQ : « Difficultés d’attraction et de rétention des psychologues dans le réseau public québécois : solutions » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion