Le conflit armé au Soudan, déclenché il y a près d’un mois, a vite fait la une des médias en raison de l’intensité des affrontements et du non-respect total du droit humanitaire. Opposant deux généraux – le chef d’état-major des Forces armées soudanaises, le général Burhan, et son ancien allié, le général Dagalo, plus connu sous le nom de Hemdeti, chef de la Force de soutien rapide, une sorte de garde prétorienne paramilitaire créée par le président déchu, Omar el-Béchir –, le conflit tourne autour des conditions de réintégration des groupes armés au sein de l’appareil sécuritaire de l’État soudanais.

Dans les premières journées des affrontements, la mort de trois fonctionnaires du Programme alimentaire mondial, l’irruption d’éléments armés dans la résidence du représentant de l’Union européenne et l’interpellation du convoi de l’ambassadeur des États-Unis ont rapidement envoyé un signal d’alarme aux capitales occidentales, qui se sont empressées d’évacuer leur personnel diplomatique. Si les appels au cessez-le-feu et les exhortations à la protection des civils se sont multipliés, ils sont restés sans réponse.

Dans ce contexte, il y a fort à craindre que les pays occidentaux, occupés par la guerre en Ukraine, ne s’impliquent pas ou peu dans les efforts de résolution du conflit. Et pourtant, la déclaration de la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly, à l’occasion de la Journée internationale du multilatéralisme et de la diplomatie au service de la paix, selon laquelle le multilatéralisme et la diplomatie sont essentiels à la paix dans le monde, s’applique en tous points à la crise que traverse le Soudan aujourd’hui.

Pourquoi le Canada et les pays occidentaux devraient-ils s’impliquer dans la résolution de ce conflit ? Les raisons sont aussi nombreuses qu’impérieuses.

Sur le plan sécuritaire d’abord, laisser ce conflit se prolonger, c’est risquer un embrasement régional. Le Soudan partage des frontières avec plusieurs pays déjà fragilisés par des violences, dont le Soudan du Sud, la Libye, la Centrafrique et l’Éthiopie. Les gouvernements occidentaux ont beaucoup investi dans plusieurs de ces pays afin de les inscrire dans une trajectoire de résolution des conflits. Tourner le dos au Soudan serait risquer de voir ces investissements politiques, matériels et financiers s’envoler en fumée.

De petits pas vers la démocratie

Sur le plan diplomatique, dans cette région marquée par une histoire de gouvernance autoritaire, de petits pas vers la démocratie laissaient récemment présager un possible changement de cap qui méritait d’être soutenu. On ne peut que se rappeler le courage dont ont fait preuve les Soudanaises et les Soudanais en descendant dans la rue en 2019 pour exiger la destitution du président Omar el-Béchir, que même un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale n’avait pas réussi à déloger du pouvoir.

Au Tchad voisin, la mort du président Idriss Déby en 2021 avait enclenché un processus de transition sous l’égide des militaires qui devait mener à un dialogue national « inclusif ». Si les résultats du dialogue ont été décevants, les observateurs s’accordent néanmoins pour dire que sa simple tenue devait inciter la diplomatie à offrir un soutien continu aux acteurs porteurs de changement afin d’éviter un recul. Or, le risque d’un tel recul a sensiblement augmenté depuis le début de la crise au Soudan.

PHOTO ZOHRA BENSEMRA, REUTERS

Camp de réfugiés soudanais, à Koufroun, au Tchad

Enfin, sur le plan humanitaire, alors que la région fait face à des défis récurrents, les organisations humanitaires appelaient déjà en novembre dernier à une action urgente pour aider les communautés vulnérables de la Corne de l’Afrique à affronter les conséquences dramatiques de la plus grave et longue sécheresse de l’histoire récente. Avant même le début du conflit au Soudan, près de 21 millions de personnes se trouvaient en situation d’insécurité alimentaire élevée alors que les programmes de réponse n’étaient financés qu’à près de 50 %. Le déplacement massif de Soudanais, réfugiés ou déplacés internes, ne pourra qu’aggraver une situation déjà extrêmement grave.

À un moment où les pays occidentaux font preuve d’un engagement constant auprès du gouvernement et des populations ukrainiennes, il est important pour ces mêmes pays de ne pas se dédouaner de leurs responsabilités au Soudan.

La crise soudanaise est un moment clé dans les relations entre les pays occidentaux et africains. C’est également un moment clé pour l’avenir d’un multilatéralisme que le Canada a contribué à ériger à travers le système des Nations unies.

Notre réponse à la crise soudanaise pourrait sceller le sort du multilatéralisme tel que nous le connaissons. Selon que nous nous impliquons dans la résolution de la crise ou pas, nous enverrons des signaux qui seront interprétés par les populations de tous les pays touchés, du Kenya jusqu’à l’Égypte.

L’Occident, récemment accusé par les populations de certains pays africains de ne poursuivre que ses propres intérêts, saura-t-il se montrer à la hauteur ?

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