Certaines écoles publiques, sous prétexte qu’elles proposent un programme enrichi, se permettent depuis des années d’y aller d’un processus de sélection à l’endroit d’enfants de 4 ans afin qu’ils aient le privilège de fréquenter leur « prestigieuse » institution d’enseignement lorsqu’ils entreront en maternelle – pas à l’université pour faire des études en médecine ou en physique nucléaire, mais bien en maternelle ! C’est ce que nous reconfirmait un article de Daphnée Dion-Viens paru le 18 juin⁠1.

Les écoles privées, d’ailleurs subventionnées avec l’argent du public, sélectionnent leurs « poulains » de race ; c’est connu. Les écoles publiques qui offrent des projets particuliers peuvent aussi le faire, c’est documenté et légal, selon le ministère de l’Éducation du Québec. Restent alors les écoles publiques bien ordinaires, que certains vont jusqu’à qualifier d’écoles « poubelles », puisque celles-ci ont à s’occuper, sans les ressources nécessaires pour y arriver, de tous ces enfants qui ont été rejetés par ce système sélectif et ségrégationniste ou qui ont des problèmes d’apprentissage ou de comportement.

Alors, comment Bernard Drainville peut-il se voiler le visage à ce point en continuant d’affirmer que l’école à trois vitesses n’existe pas alors qu’elle est validée par son propre ministère ?

Et surtout, comment peut-il faire semblant d’ignorer tous les problèmes que peuvent engendrer ces pratiques discriminatoires qui prennent les allures d’une sorte d’« eugénisme social » et qui ont entre autres pour effet de mettre à mal l’ascenseur social, le principe d’égalité des chances, tout en validant et en accentuant le caractère élitiste de notre système d’éducation ?

Comme du bétail !

Imaginez la scène : lors de ces séances de sélection, on demande à des enfants de 4 ans de participer à des ateliers afin que des « experts » en pédagogie puissent les observer dans le but de détecter des « prédicateurs de réussite » de même que des habiletés sociales chez ces tout-petits qui n’en sont pourtant qu’à leur premiers pas dans la vie, qui ont encore tout à découvrir, à apprendre et, surtout, qui sont encore très loin d’un plein développement de leurs facultés cognitives et physiques que chacun d’entre eux développe à son rythme.

Comment ne pas se révolter devant une telle pratique ! Car ces enfants qui auront été sélectionnés ou rejetés comme des moins que rien traîneront ce verdict final avec eux pour les années à venir à la manière de ces bêtes que l’on marquait autrefois au fer rouge pour bien les identifier.

D’ailleurs, il est déjà mentionné, du moins par l’une de ces écoles qui offrent ces programmes particuliers et enrichis à la maternelle, que les performances de ces enfants qui ont été acceptés dans leur « écurie » seront prises en considération lorsque viendra le temps d’être encore une fois sélectionnés, mais cette fois pour passer de la maternelle à la première année. À n’en pas douter, le même stratagème se poursuivra pour eux au secondaire et ensuite à l’université. Et tant pis pour tous ceux qui auront été identifiés comme des cancres !

Tout ce processus de sélection, en plus d’être inhumain, sent l’injustice à plein nez et fait preuve d’une très grande insensibilité à l’endroit de ces enfants qui n’ont pas demandé d’être ainsi analysés, scrutés, évalués, étiquetés, sélectionnés ou rejetés.

Un choix de société

Jamais il ne me viendrait à l’esprit de blâmer les parents pour le rôle qu’ils acceptent de jouer dans cette mascarade des plus cyniques. Chacun veut le bien de ses enfants et certains sont prêts à toutes les compromissions pour y parvenir, quitte à faire des choix purement individualistes qui, dans le cas qui nous intéresse, se dressent contre le bien collectif et la santé de notre démocratie.

Mais si les parents peuvent difficilement être blâmés, il en est tout autrement du gouvernement et de son ministre de l’Éducation qui ferment les yeux devant ce processus de sélection inhumain qui se fait au détriment d’enfants innocents et inconscients à qui on demande de se comporter comme des bêtes de cirque.

Eh bien non ! Les enfants n’ont pas à subir les conséquences d’un pareil système à leur âge, ils n’ont pas à subir une décision qui peut prendre les apparences d’une fatalité qui les pénalisera et les marquera pour le reste de leurs jours. Les pédiatres nous le disent : à cet âge, les enfants ne se développent pas tous au même rythme, n’ont pas la même maturité intellectuelle et comportementale. C’est pourquoi il faut respecter ces différences au lieu d’en faire des facteurs qui interviennent d’une manière importante dans un processus de sélection inique et irrespectueux des enfants.

Avant de jeter des enfants en si bas âge dans le grand cirque de la compétition et de la sélection, laissons-leur le temps de s’amuser ensemble, d’aiguiser leurs sens, de s’épanouir, de découvrir leur environnement et surtout de fraterniser avec leurs camarades, peu importe leur classe sociale, les revenus de leurs parents et leurs capacités intellectuelles. Notre société a tout à gagner en favorisant la mixité sociale.

Et puis, ayons l’humanité d’offrir aux enfants ce moment de grâce et d’innocence qu’ils méritent.

1. Lisez l’article du Journal de Montréal

* Réjean Bergeron a publié Je veux être un esclave ! (2016), L’école amnésique ou Les enfants de Rousseau (2018) et Homère, la vie et rien d’autre ! (2022)

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