Lors d’une visite à Washington en 1969, le premier ministre Pierre Elliott Trudeau a déclaré que « vivre à côté de vous, c’est un peu comme dormir avec un éléphant ». Imaginez dormir avec un dragon et un ours, aux tendances autoritaires et révisionnistes de surcroît.

C’est le cas de la Mongolie, une démocratie libérale enclavée dont les seuls voisins sont la Russie et la Chine. Une situation géopolitique unique au monde. Comment une puissance mineure d’à peine plus de 3 millions d’habitants peut-elle naviguer dans de telles eaux ?

Un pays ne peut échapper à sa géographie. Dans le cas de la Mongolie, cela signifie que la Chine absorbe 93 % de ses exportations et que la Russie fournit 81 % et 87 % de son pétrole et de son gaz. Et la construction attendue d’un gazoduc transmongolien transportant le gaz russe vers le marché chinois ne pourra que renforcer sa dépendance déjà forte envers ces deux géants. Cette tendance générale sera difficile à inverser, alors que la Russie pivote vers l’est et tente de se rapprocher de la Chine à la suite de son invasion de l’Ukraine et de sa mise au ban de l’Occident.

Oulan-Bator n’a d’autre choix que de maintenir de bonnes relations avec la Russie et la Chine. En même temps, le pays le moins densément peuplé du monde essaie de contrebalancer autant que possible cette dépendance grâce à sa politique du « troisième voisin », qui consiste à développer des relations au-delà de son environnement immédiat et en particulier avec des démocraties libérales telles que le Japon, la Corée du Sud, l’Union européenne, les États-Unis et le Canada, qui a d’ailleurs joué un rôle surdimensionné à la fin de la décennie 2000 en tant qu’investisseur étranger dans ses abondantes ressources minières.

Intérêts économiques planétaires

À cet égard, le président français, Emmanuel Macron, s’est rendu fin mai en Mongolie pour la première fois. Certains à Oulan-Bator auraient pu espérer qu’il apporte avec lui une centrale nucléaire dans ses bagages pour aider la Mongolie à faire face à une crise de l’énergie et de la pollution due à un réseau électrique chancelant et à la dépendance au charbon pour la production d’électricité, en particulier dans la capitale. Plus sérieusement, les annonces faites à l’issue de cette visite se sont concentrées sur les « minéraux critiques », dont l’uranium.

PHOTO LUDOVIC MARIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président français, Emmanuel Macron, est accueilli par son homologue mongol, Ukhnaagiin Khürelsükh, à Oulan-Bator.

Quelques jours plus tard, c’était au tour du sous-secrétaire d’État américain à la croissance économique, à l’énergie et à l’environnement de se rendre dans la capitale mongole pour signer un protocole d’accord de collaboration sur ces minéraux.

Et dans la dernière semaine de juin s’est tenue la réunion des femmes ministres des Affaires étrangères organisée par la Mongolie, avec entre autres la ministre française Catherine Colonna – co-marraine de cette réunion avec l’Allemagne –, qui en a profité pour poursuivre les discussions sur les minéraux critiques.

PHOTO TAYLOR WEIDMAN, ARCHIVES BLOOMBERG

Vue aérienne d’un secteur de la mine Oyou Tolgoï, dans le sud de la Mongolie

Il faut souligner le cas du cuivre, le « métal de l’électrification », essentiel à la transition énergétique et dont l’offre répondra difficilement à la demande dans les décennies à venir. Oyou Tolgoï, l’une des plus grandes mines de cuivre au monde avec ses galeries de la taille de Manhattan, détenue majoritairement par Rio Tinto, vient d’être mise en service au milieu du désert de Gobi après plus d’une décennie de construction souterraine et de négociations difficiles avec le gouvernement mongol.

Ici, l’intérêt de la Mongolie de réduire sa dépendance vis-à-vis de la Chine rencontre l’intérêt de ses « troisièmes voisins », qui tentent eux aussi de réduire la leur à l’égard de la domination grandissante de Pékin sur le marché et le raffinage de ces minerais.

Cette approche est désormais répandue dans les relations internationales de la Mongolie, et elle va au-delà des intérêts économiques. En développant leurs relations économiques avec Oulan-Bator, les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) espèrent aussi renforcer sa démocratie.

Instabilité politique

La démocratie mongole n’est pas sans faille. Considérée comme « libre » depuis quelques décennies, avec un score d’environ 85 % selon Freedom House, son rang dans le classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières a récemment baissé, tandis qu’il plonge dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International.

Ses gouvernements sont également instables, avec une durée de vie moyenne d’un an et demi. Mais cela est symptomatique d’une caractéristique plutôt inhabituelle : le pouvoir s’est progressivement dispersé dans le système politique mongol depuis la révolution démocratique de 1990, alors qu’il tend à se centraliser et à se concentrer dans un monde de plus en plus fertile pour l’autoritarisme. Par exemple, les récents changements constitutionnels vont dans le sens d’un Parlement élargi (126 membres au lieu des 76 actuels) qui sera élu par un scrutin mixte : majoritaire et proportionnel.

La Mongolie tente également de se définir comme une sorte de médiateur régional en accueillant les Ulaanbaatar Dialogues (la huitième édition s’est tenue il y a quelques semaines), qui cherchent à favoriser la coopération sur les questions de sécurité en Asie du Nord-Est.

Avec la montée des tensions entre les États-Unis et la Chine, les rumeurs de guerre à propos de Taïwan, le comportement hostile de la Russie et la crise persistante dans la péninsule coréenne, les questions de sécurité impliquant des puissances nucléaires ne manquent pas dans la région. Une petite puissance au milieu de la steppe ne peut qu’espérer que ces géants maintiendront le dialogue ouvert et la laisseront vivre pacifiquement et démocratiquement.

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