La répartition de la charge fiscale et financière des activités et services municipaux est un exercice politique, difficile et délicat, auquel se consacrent les municipalités du Québec. Les conseils municipaux jouissent à cet effet d’un large pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé avec doigté et conformément aux dispositions législatives habilitantes.

Plusieurs municipalités du Québec cherchent depuis quelque temps des avenues pour financer des murs antibruit dont les coûts peuvent être accablants pour leurs contribuables. Ces écrans deviennent de plus en plus une nécessité pour atténuer les nuisances sonores que subissent les riverains de routes lourdement fréquentées. La taxe d’amélioration locale, comme celle proposée par la Ville de Longueuil, n’est pas la solution à favoriser, et voici pourquoi.

On apprenait récemment⁠1 que la Ville de Longueuil entend solliciter 265 résidants de l’arrondissement de Saint-Hubert qui bordent la route 116 pour contribuer au financement d’une portion des coûts d’un mur antibruit. Au motif d’être le bénéficiaire de l’infrastructure, chaque riverain devrait régler une facture d’environ 23 600 $ (ou 36 300 $ sur 20 ans). La contribution qui serait exigée s’appuie sur un mode de taxation relativement ancien figurant aux lois québécoises sur les municipalités, soit la taxe d’amélioration locale.

Même si elle est une taxe foncière, la taxe d’amélioration locale se distingue de la taxe annuelle perçue par toutes les municipalités du Québec pour ses revenus généraux, basée sur l’évaluation foncière des immeubles portés au rôle. La première caractéristique de la taxe d’amélioration locale tient au fait qu’elle se limite le plus souvent à une portion du territoire de la municipalité, soit la zone qui bénéficie directement de l’infrastructure ou du service financé. Elle pourrait toutefois s’appliquer à tout le territoire – on l’appelle alors plutôt « taxe spéciale » – et viser un service particulier que la municipalité préfère financer par un prélèvement spécifique, comme pour l’entretien de ses routes ou la construction d’un garage municipal, par exemple.

La deuxième distinction de la taxe d’amélioration locale est qu’elle peut être basée sur une autre caractéristique que la valeur foncière, comme la superficie des terrains ou leur longueur bordant la rue où se feront les travaux. L’exemple typique d’un usage courant de la taxe d’amélioration locale est celui d’un prélèvement limité à la zone précise où sera installé un réseau de distribution d’eau, souvent calculé selon la longueur riveraine du terrain desservi, comme mesure équitable de répartition des coûts d’installation des tuyaux devant courir sous terre. On comprend aisément que les contribuables non desservis par le réseau d’eau municipal, qui doivent en conséquence se munir de leurs propres puits individuels et systèmes d’alimentation en eau, n’aient pas à financer l’infrastructure de leurs concitoyens qui n’auront plus de telles dépenses personnelles à engager.

Bref, la taxe d’amélioration locale vise essentiellement à financer une infrastructure ou un service destiné à certains citoyens. Est-ce le cas d’un mur antibruit ? On peut en douter.

Le but premier d’un mur antibruit n’est pas de donner un service aux résidants ciblés, mais plutôt de les protéger d’une nuisance causée par la circulation routière qui les affecte de façon déraisonnable ou excessive, c’est-à-dire au-delà des normes recommandées par les organismes de protection ou de surveillance, comme l’Institut national de santé publique du Québec. Pourquoi les citoyens qui subissent de façon démesurée les affres d’une activité dont ils ne sont pas responsables devraient-ils contribuer de façon ciblée à des travaux qui visent à en atténuer les effets nuisibles sur leur santé ? Pourrait-on imaginer les citoyens de Rouyn-Noranda soumis à une obligation de payer pour la construction d’infrastructures visant à les protéger des émanations nocives de la fonderie Horne ?

Le principe du pollueur-payeur

Le gouvernement du Québec a maintes fois rappelé qu’il entend promouvoir le principe du pollueur-payeur à l’intérieur de ses politiques publiques. Le bruit excessif est bel et bien un polluant et doit être traité comme tel. N’est-il pas opportun de réfléchir à cette approche, dans un contexte où le développement et la mobilité durables sont sur toutes les lèvres ? Le mode de financement par redevance réglementaire s’appuie sur le principe du pollueur-payeur, en prévoyant que la personne qui, par son activité (la conduite automobile ; ou la construction des autoroutes), génère un besoin (protection sonore) doit contribuer au financement du régime réglementaire mis en place pour y répondre.

Les municipalités du Québec peuvent se réjouir d’avoir obtenu en 2017 un pouvoir général de redevances réglementaires leur permettant de moduler avec une grande souplesse ce nouvel instrument. Mais cette habilitation demeure précaire et incomplète, comme l’a récemment découvert la Ville de Percé, lorsque la Cour supérieure a cassé son Règlement imposant une redevance pour financer ses infrastructures touristiques.

Souvent, il est impossible pour la municipalité de percevoir directement la redevance réglementaire. Ce serait certainement le cas pour la Ville de Longueuil qui n’a aucune prise sur les automobilistes qui traversent son territoire.

La municipalité doit s’appuyer sur un mandataire pour en faire la perception, mais ne dispose d’aucun pouvoir pour l’y contraindre. Percé avait besoin des commerçants pour percevoir sa redevance, comme les municipalités auraient besoin de la Société de l’assurance automobile du Québec pour percevoir une redevance sur les détenteurs de plaques d’immatriculation. Aussi, le seul territoire municipal n’est souvent pas optimal pour une telle perception, qui devrait plutôt se faire à l’échelle de l’agglomération ou de la communauté métropolitaine, voire, dans certains cas, à l’échelle de la province.

En somme, ce n’est pas parce que les instruments les mieux conçus pour financer une infrastructure ne sont pas encore adaptés qu’il devient acceptable d’étirer l’usage d’un instrument traditionnel au point d’en déformer les attributs.

Ce texte a été modifié de sa version originale pour corriger le nom de la ville gaspésienne, Percé et non Gaspé, qui a vu la Cour supérieure casser son Règlement imposant une redevance pour financer ses infrastructures touristiques.

1. Lisez l’article de La Presse : « Mur antibruit à Longueuil : “On ne devrait pas avoir une cenne à payer” » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion