Le modèle de laïcité adopté avec la loi 21 apparaît pour une majorité de Québécois comme une avancée historique ; et pour nos laïcistes, même comme un pied dans la porte pour, quand l’occasion s’y prêtera, l’étendre davantage ; déjà, le Parti québécois (PQ) souhaite qu’elle s’applique éventuellement aux écoles privées et aux CPE.

Pour l’instant, elle fait l’objet de contestations devant les tribunaux ; nul ne sait ce qui en résultera exactement. Mais une chose apparaît évidente, le verdict final de la Cour suprême déplaira à la minorité brimée par cette loi si elle est validée, et dans le cas contraire, à la majorité, qui y verra une forme d’affront national.

Dans un cas comme dans l’autre, c’est notre nation à tous et à toutes qui s’en trouvera socialement passablement paralysée. Mais réalisera-t-elle qu’elle s’est mise elle-même dans le pétrin avec ce modèle de laïcité d’imitation française basé sur l’interdiction du port d’un signe religieux pour les personnels des institutions publiques en position d’autorité coercitive et éducative, les obligeant à une neutralité d’apparence, laquelle, non seulement bafoue la liberté de conscience et de religion, mais de surcroît, s’inscrit en faux à l’égard de notre histoire ?

Jamais, en effet, tout au long de notre Révolution tranquille, il n’a été question d’interdire des vêtements ou le port d’un signe religieux.

L’époque, en particulier les années 1960 à 1980, était plutôt marquée par la volonté de séculariser nos institutions avec l’invitation à ses personnels à la retenue religieuse, mais sans jamais pour l’État vouloir recourir à l’interdiction. Respect et démocratie québécoise obligeaient ! Il en est résulté que notre État, laïque dans les faits, a pu finalement déconfessionnaliser les commissions scolaires en 1998 et les écoles en 2008, un accomplissement majeur pour notre laïcité, et aussi pour la suite de notre Révolution tranquille dont l’esprit jamais n’avait été trahi.

Accommodements raisonnables

Mais tout a déraillé en 2006 avec, en particulier, l’affaire du kirpan, une décision de la Cour suprême l’autorisant dans les écoles à condition que l’élève le porte de façon emmaillotée. A suivi la question des demandes d’accommodements religieux, en particulier aussi dans les écoles, provenant surtout de personnes musulmanes, mais vites jugées déraisonnables par les Québécois parce qu’en décalage avec l’esprit de notre Révolution tranquille. Ce qui a conduit, après plus de 10 ans de débats publics autour de cet enjeu, à un retour contre-révolutionnaire du religieux dans nos institutions, et pour le contrer, à l’adoption de la loi 21 et à son modèle de laïcité basé sur l’interdiction, encore plus contre-révolutionnaire.

Mais comment corriger cette erreur tactique et peut-être historique ? À première vue, c’est impossible. Car trop de temps politique et de complicité ont été consacrés à cette problématique. D’ailleurs, cette loi 21, dès son adoption le 16 juin 2019, est devenue pour la Coalition avenir Québec et le PQ une loi-culte. Et même si le Parti libéral du Québec et Québec solidaire ont voté contre, il reste qu’ils l’ont approuvée indirectement en appuyant le retrait du crucifix de l’Assemblée nationale, ce qui fut fait le 9 juillet suivant. Pourtant, nos parlementaires, le 22 mai 2008, avaient à l’unanimité appuyé la proposition du premier ministre Jean Charest refusant de le retirer selon la recommandation Bouchard-Taylor faite le même jour, et pour le motif disait-il qu’il n’est pas question de « commencer à écrire notre histoire à l’envers ».

Eh bien, c’est ce qui se produit avec cette loi 21 et sa laïcité d’interdiction qui, après avoir sacrifié un objet important de notre patrimoine, non seulement trahit l’esprit de notre Révolution tranquille, mais laisse au Canada et à sa Cour suprême le dernier mot au sujet de cette affaire, intime à notre société distincte, nous paralysant encore plus comme nation.

S’il y a encore une solution, c’est celle-ci : qu’on réaccroche le crucifix, et qu’on le laïcise en adoptant une motion en ce sens.

Et que mutatis mutandis, il soit convenu que tout signe religieux porté par une personne dans nos institutions publiques soit également tenu pour laïque de même que la croix chrétienne sur notre fleurdelisé. Et qu’une telle décision de désactiver symboliquement la fonction religieuse des signes plutôt que de les interdire en matière de laïcité soit prise incessamment et par consensus, avant que la Cour suprême canadienne ne se mêle de nos affaires.

Mais tant que je serai le seul citoyen québécois, et que de souche, à préconiser une telle approche, une approche qui respecte notre histoire, qui respecte la liberté de conscience des personnes, qui respecte essentiellement notre liberté nationale et donc notre avenir, cette paralysie de notre esprit révolutionnaire, à cause de ce truc de l’interdiction, risque de s’intensifier et d’éloigner le meilleur de notre futur comme peuple.

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